De retour de voyage, de retour à ma petite routine, une pensée m’obsède ! Huit mois sans alcool, huit mois sans boire un seul petit verre de vin ou de bière et le résultat le plus évident, le plus remarquable, c’est un tour de taille plus grand ? Supprimer l’alcool devait me faire perdre du poids, pas gagner 15 lb ! Comment est-ce que j’ai pu prendre 15 lb, comme ça, d’un coup ? Sans m’en rendre compte ? Bon, OK, je sais bien que je ne peux pas les avoir prises d’un coup, mais c’est pourtant l’impression que j’ai. Deux jours avant de me peser, mes jeans me faisaient encore. Bon, ils étaient parfois un peu serrés, mais les jeans, ça fluctue. Après le lavage, ils sont un peu serrés, deux jours après, ils pochent aux genoux et aux fesses. Et puis, il y a des jours dans le mois où quand tu es une fille, ben, tu es comme gonflée et tous tes vêtements sont un peu serrés. Mais maintenant, là, c’est vraiment impossible d’attacher mes jeans. Même en me rentrant le ventre au maximum, même en me couchant sur le dos !
J’étais tellement certaine que j’allais perdre du poids en arrêtant de boire que je ne me pesais même plus ! J’avais décidé d’attendre la fin de l’année pour le faire. Je me disais que ça me ferait comme un beau cadeau de fin d’année de voir toutes ces livres que j’aurais perdues. Maudite belle surprise !
En y réfléchissant un peu et en calculant beaucoup, je me rends bien compte de mes erreurs. J’ai souvent remplacé l’alcool par la bouffe.
Je ne bois plus mais je mange!
À chaque fois, je me disais que comme j’avais économisé des calories en ne buvant pas, je pouvais me permettre une petite gâterie. En fait, je ne les économisais pas puisque je les remplaçais aussitôt par d’autres calories. Quel mauvais calcul ! C’était facile de soustraire les calories des verres de vin que je ne buvais pas, mais plus difficile de penser à additionner celles de toute la bouffe que j’ajoutais. Et c’est clair maintenant qu’au total, je n’ai pas économisé de calories. Bien au contraire !
Je dois faire quelque chose ! Je ne veux pas me remettre à boire avant la fin de l’année, mais je ne peux pas continuer à prendre du poids. Il faut aussi que je perde tout ce poids que je viens de prendre. Mais maigrir de 15 lb, ce ne sera pas facile et ça risque d’être long. Si je perds une livre par semaine, ça va me prendre 15 semaines ! Presque quatre mois ! Ce sera la fin de l’année ! Mon but en arrêtant de boire était aussi de mincir. Idéalement, il faudrait donc que je perde deux lb par semaine. Je n’y arriverai pas sans faire de grands changements dans ma façon de manger. Ce ne sera pas facile. J’ai besoin de soutien. Alors, aux grands maux, les grands moyens ! Même si j’ai toujours dit que je ne ferais jamais ça, je vais m’inscrire à un programme de perte de poids en groupe. Et ce, dès aujourd’hui !
Enfin, dès vendredi. Il faut quand même que je finisse toute la bouffe que j’ai dans mon frigo. Je viens juste de m’acheter des plats préparés et des cannolis de mon épicerie italienne préférée. Je ne vais quand même pas jeter tout ça ! Ce serait du gaspillage !
Arrêter de boire permet de perdre du poids. Vraiment?
En mars, je notais dans ce journal mes dix raisons pour arrêter de boire de l’alcool. En troisième place venait mon désir de perdre du poids. Et j’étais certaine que ce serait facile à faire parce que c’est tout simplement mathématique. Une règle de trois… Alors, je ne comprends pas. Je dois être un cas spécial !
Je ne fume pas, je ne bois plus d’alcool et là, il va falloir que je mette au régime ? PLus de chocolat, plus de gâteaux, plus de petits plats de chez le traiteur ? Qu’est-ce qu’il va me rester comme plaisir ? Le sexe ? Il faudrait que Jean-Marc arrête de voyager si souvent…
Les mots ont un poids. Oui, oui. Et parfois, un poids énorme, même. Et ce poids gigantesque, vous le traînez avec vous, partout. Il vous alourdit et vous fait marcher les épaules basses. Parfois, vous les oubliez, ces mots, vous ne les sentez plus et vous marchez allègrement, la tête haute, le pied léger et… Bang ! Quelqu’un vous les relance au visage.
C’est ce qui m’est arrivé hier alors que je profitais innocemment d’une des belles journées du mois d’août. Montréal est tellement belle en été ! Je venais de passer le cap de sept mois sans alcool et je me sentais assez forte pour aller me promener sur la rue Saint-Denis, la rue des terrasses. La rue était bondée de monde et je me sentais incroyablement bien, en paix avec moi-même.
Catherine ne boit plus. Le poids des mots.
Et voilà ! J’ai eu l’impression d’avoir reçu un coup de massue. Je suis partie honteuse, écrasée par le poids des mots. Ma décision de ne pas prendre d’alcool pendant un an est rapidement devenue « Catherine ne boit pas » puis, peu à peu « Elle ne boit plus. » Un raccourci. Comme le jeu du téléphone. Si je ne bois plus, c’est que je buvais et tout le monde sait très bien ce que « boire » veut dire : Catherine avait un problème d’alcool. Un problème d’alcool terrible. Je me souviens encore de ma mère qui chuchotait à mon père : « Le mari de la voisine boit ». « Elle doit cacher son flacon de
parfum ». Et je revois cet homme, cet alcoolique aux yeux rouges, à la démarche toujours un peu chambranlante et aux crises de colère qui effrayaient tous les enfants du quartier. Une image terrible !
Je n’ose pas imaginer quelle image les gens ont en tête quand ils entendent : « Catherine a arrêté de boire. »
Ce dernier incident m’a bien fait réfléchir. Ma décision de ne pas boire pendant un an a fait de moi, aux yeux de plusieurs de mes collègues et amis, une alcoolique. Pourquoi ? D’abord, parce que je ne bois pas du tout, même pas un petit verre de temps en temps. Mais aussi à cause de la façon dont ma décision est présentée, à cause des mots qu’on utilise. Est-ce que par un petit jeu de dialectique, je ne pourrais pas changer la perception que les gens ont de moi et de ma décision ?
Alors, j’ai décidé de reviser ma façon de présenter ma résolution. Je me suis préparé une description moderne, un remixage d’expressions bien branchées, évocatrices d’images exotiques et cultivées. Le fond est vrai, c’est la façon de le dire qui a changé. Et, le croirez-vous, ça marche !
Le journal de Catherine de nouveau en ligne dès samedi.
Un été bien occupé durant lequel j’ai beaucoup parlé de ce blogue, au Québec et aux États-Unis. Début juin, visite au Québec, où j’étais une des bédéistes invités au Festival de la BD de Prévost. J’y ai fait le lancement du premier volume de la bande dessinée Une année sans alcool. Le journal de Catherine. À peine de retour à Palo Alto, je suis repartie pour le congrès Graphic Medicine 2014, à Baltimore. J’y ai fait une conférence qui portait sur le blogue, son contenu et ses buts : A year Without a Drink–Catherine’s Diary.
Puis, nouveau départ en juillet pour aller assister pour la première fois au Comic-con de San Diego. Une aventure extraordinaire que je n’oublierai pas de sitôt.
Mais pendant que je voyageais et parlais avec enthousiasme de ce webcomic, Catherine, elle, n’en continuait pas moins d’écrire dans son journal, seule dans son coin. Les entrées du journal n’ont pas été publiées ici sous forme de billets, mais vous pourrez les lire dans le prochain volume du Journal de Catherine qui sortira début 2015.
En attendant, le blogue reprend dès samedi avec les réflexions de Catherine sur le poids des mots. En voici un extrait :
L’été a passé vite! Les terrasses du Québec sont superbes!
Depuis que j’ai arrêté de boire de l’alcool, je reçois régulièrement, de l’un ou l’autre de mes amis, des articles de journaux, des analyses scientifiques, des liens vers des reportages télévisés, parfois sérieux, parfois humoristiques, sur le même sujet : les bienfaits de la consommation d’alcool. Dès qu’un rapport quelconque sur le sujet surgit, hop ! on me le fait suivre. Pas de délais ! Les courriels et les médias sociaux se font aller.
Mais quand, le 12 mai dernier, l’Organisation mondiale de la santé a présenté son Rapport de situation mondiale sur l’alcool et la santé, personne, mais vraiment personne ne m’en a parlé. Personne ne m’a envoyé de liens vers des articles ou des entrevues à la radio ou à la télévision sur ce sujet. Même pas un petit commentaire de mes amis sur FB ou Twitter ! Silence quasi total. Je crois que c’est parce que le rapport est assez inquiétant, certains pourraient même dire, alarmant. Le titre de leur communiqué de presse donne le ton : L’OMS appelle les gouvernements à redoubler d’efforts pour éviter les décès et les maladies liés à l’alcool.
C’est vrai aussi que les médias se sont faits, en général, assez discrets sur le sujet. Et leur réaction était plutôt uniforme : une surprise un peu incrédule suivie souvent d’un désir de rassurer. Puis, ils sont vite passés à autre chose. Le rapport est sorti, il y a moins de deux semaines et déjà, on n’en parle presque plus. « Les méfaits de l’alcool », ce n’est pas un sujet particulièrement gai pour une population qui aime bien boire, comme c’est le cas au Québec.
Une seule personne dans mon entourage n’a pas hésité à m’en parler : mon amie Marie qui ne boit pas du tout depuis presque toujours. Elle m’a téléphoné un matin pour me conseiller d’écouter une entrevue radiophonique sur le sujet. Comme elle a bien fait ! Comme je la remercie ! J’ai trouvé l’entrevue non seulement intéressante, mais aussi bien amusante. L’animatrice avait invité à son émission d’information un médecin pour commenter le rapport de l’OMS.
Dès le début de l’entrevue, on voit bien que l’animatrice est non seulement surprise, mais aussi atterrée par le contenu du rapport.
Dès le début de l’entrevue, on voit bien que l’animatrice est non seulement surprise, mais aussi atterrée par le contenu du rapport.
Le rapport de l’OSM sur l’alcool. On n’en revient pas!
Ah ! Le médecin est lui aussi surpris ! Et c’est un mé-de-cin ! L’animatrice ne perd pas une seconde. Il y a peut-être une faiblesse dans les données du rapport…
Rapport de l’OMS sur l’alcool. Premiers doutes.
Ah, oui, c’est vrai. Ce rapport est quand même produit par une agence des Nations unies… Mais il y a sûrement une explication à ces chiffres affreux. Ils ne peuvent pas s’appliquer à notre comportement à nous ? Il faut aussi rassurer les auditeurs. L’animatrice tend une première perche à son invité.
Rapport de l’OMS sur l’alcool. Rassurez-moi, docteur. Prise un
Merde ! Une perche de perdue ! Le docteur n’a pas répondu comme elle l’aurait souhaité. Mais elle n’a pas dit son dernier mot. Elle a d’autres perches…
Rapport de lOMS sur l’alcool. Rassurez-moi, docteur! Prise 2
L’animatrice commence à penser que ce médecin ne comprend pas vite. Il n’a pas l’air de vouloir l’aider. Mais elle a un atout dans son jeu… Un atout imbattable, une donnée scientifique que tout le monde connaît
Rapport de l’OMS sur l’alcool. Rassurez-moi, docteur! Prise trois.
Et voilà ! Ce n’était pas si difficile, docteur ! C’est ce qu’elle voulait lui entendre confirmer : l’alcool est bon pour la santé !
Rapport de l’OMS sur l’alcool. On se rassure.
Hum… Ce n’est pas bon du tout, ça ! 200 maladies ! Mais le brave docteur a aussi parlé de cette maladie-épouvantail, celle qu’on agite devant les buveurs d’alcool ! Celle dont la cause est bien connue…
Rapport de l’OMS sur l’alcool. C’est l’abus!
Et voilà, le mot qu’il fallait dire. Nous, au Québec, la modération, on connaît ça ! On l’a même institutionnalisée !
Rapport de l’OMS sur l’alcool. La modération.
Grand soupir de soulagement. Au Québec, Éduc’alcool avec son thème de modération nous sert de bouclier. Finalement, son public et elle-même rassurés, l’entrevue terminée, l’animatrice peut enfin passer au sujet suivant de son émission. Un sujet beaucoup plus léger et intéressant : « Avec le mois de juin qui arrive, quelle sera votre boisson préférée de l’été ? Le vin blanc ou le rosé ? »
Peu de temps après cette entrevue à la radio, j’ai lu un court article sur La Presse +, édition du 21 mai, intitulé Le monde boit. L’article se termine par un commentaire de M. Hubert Sacy, directeur gnénéral d’Éduc’alcool : Le Canada et le Québec consomment plus que la moyenne mondiale, mais leur relation avec l’alcool est plus équilibrée qu’ailleurs, dit M. Sacy. Au Québec, poursuit-il, les trois quarts des buveurs consomment de façon « parfaitement responsable ».
Bon, l’article n’explique pas ce que M. Sacy entend par une relation équilibrée avec l’alcool, ni ce qu’est une consommation responsable. Mais, selon lui, au Québec, dans ce domaine, tout va plutôt bien, alors ? La modération nous protège donc des problèmes liés à la consommation d’alcool?
Je dois dire que d’une façon générale,les données ne sont pas du tout rassurantes :
Les groupes à faible revenue sont les plus touchés
Les beuveries excessives (binge-drinking) sont très populaires. 16 % des buveurs dans le monde et plus de 23 % au Canada s’y adonnent.
Les consommateurs d’alcool dans le monde ingurgitent en moyenne 17 litres d’alcool pur par année.
Et les données touchant les femmes sont encore plus inquiétantes :
Même si les décès reliés à la consommation d’alcool touchent plus les hommes (7,6 %) que les femmes (4 %), celles-ci « pourraient être plus vulnérables face à certains problèmes de santé liés à l’alcool. »
Et les auteurs du rapport s’inquiètent du fait que la consommation d’alcool est en augmentation constante chez les femmes.
J’y retrouve d’abord les mêmes recommandations que celles de chez Educ’alcool :
pas plus de 21 verres par semaine pour l’usage régulier chez l’homme (3 verres par jour en moyenne)
pas plus de 14 verres par semaine pour l’usage régulier chez la femme (2 verres pasr en moyenne)
jamais plus de 4 verres par occasion pour l’usage ponctuel
s’abstenir au moins un jour par semaine.
Mais, tout en bas de la page, il y a un petit tableau. En le lisant, j’ai un coup au coeur. C’est une mise en garde sérieuse pour ceux qui se reposent sur la tranquillité d’esprit apportée par les chiffres précédents :
Pas de consommation sans risques ! Même une consommation modérée (max. 3 verres par jour chez l’homme et 2 chez la femme) est associée à un accroissement du risque de cancers des voies aérodigestives supérieures, cancer du foie, cancers du sein et du côlon-rectum.
Toure consommation régulière peut, chez les personnes présentant une vulnérabilité, conduire à une assuétude. Toute consommation d’alcool a une influence sur le comportement et les réactions et peut conduire à des accidents et actes préjudiciables.
Bon ! J’ai appris un mot nouveau, assuétude, synonyme de dépendance. Mais j’ai aussi appris qu’il y a de nombreux risques associés à la consommation d’alcool. Et ce, même sans en abuser. Et ça, ça ne me plaît pas du tout…
Car moi, c’est juste pour un an que je veux arrêter l’alcool…
Note de l’auteure; : N’oubliez pas de consulter la page des liens pour voir toutes les références reliées à cet article.