Même si je ne bois plus depuis plus de neuf mois maintenant, j’ai toujours des douleurs musculaires. C’est très décevant. Je commence à penser que d’arrêter l’alcool ne m’apporte pas beaucoup de bienfaits. J’ai pris du poids et j’ai encore mal partout. Et mon docteur ne sait pas pourquoi j’ai mal comme ça. Je me demande s’il n’y a pas un peu de vrai dans ce que ma coiffeuse me dit chaque fois qu’elle me voit :
Cette semaine, j’ai finalement obtenu un rendez-vous avec un docteur. Ou plutôt, une docteure. Une endocrinologue. J’espère qu’elle pourra m’aider à identifier la source de ces terribles douleurs musculaires. Est-ce vraiment de la fibromyalgie ? Ou de la polyarthrite rhumatoïde ? Mon médecin généraliste ne sait pas. Pour lui, ce sont des douleurs musculaires non définies. Il semble penser que ce sont surtout des problèmes de femme, tout ça. Et il se demande en fait si je ne serais pas un peu déprimée. J’ai mal, docteur ! Ben non, je ne suis pas gaie, gaie ! Il aurait bien voulu me donner un p’tit antidépressif pour régler tout ça. Si j’étais plus heureuse, me dit-il, je n’aurais plus le temps de penser à mes petits bobos. Et je pourrais profiter de la vie. Une belle fille comme vous, a-t-il ajouté ! Et il m’a souri d’un air difficile à identifier avant de me raccompagner jusqu’à la porte. Il avait hâte de passer au patient suivant, un patient avec de vrais problèmes. La salle d’attente en était pleine, d’ailleurs, de patients qui attendaient que ce soit leur tour d’avoir un petit 15 minutes avec le médecin
Alors, j’avais beaucoup d’espoir pour ce rendez-vous avec cette endocrinologue. Une spécialiste et une femme. Enfin, je pourrai me confier à quelqu’un qui pourra me comprendre, qui prendra le temps de m’écouter. Enfin, je pourrai expliquer en détail comment ces douleurs musculaires peuvent parfois empoisonner ma vie. On fera ensemble le tour de la question pour enfin trouver un diagnostic et une solution.
Quand elle a ouvert la porte de son bureau et que je l’ai aperçue, j’ai été charmée. Une femme de mon âge, l’air compétent, au sourire rassurant.
« Vous pensez faire de la fibromyalgie ? On va regarder ça. Laissez-moi vous poser quelques questions. »
Je me suis finalement décidée à m’inscrire à un programme de perte de poids en groupe. J’en ai choisi un que je ne connaissais pas, mais dont le nom correspond à mon attitude face à la perte de poids : Mincir sans souffrir ! Et pour me soutenir dans cette nouvelle aventure, j’ai demandé l’aide de Marie. En bonne amie, elle a même décidé de s’inscrire avec moi. Nous avons choisi d’aller aux réunions du samedi matin. Une bonne façon de commencer la fin de semaine. Ce matin, Marie est passée me prendre à la maison.
Je ne suis pas vraiment convaincue par son raisonnement, mais elle insiste. Marie a de l’expérience. Depuis, que je la connais qu’elle essaie de perdre du poids ! Je pense qu’elle a fait le tour de tous les régimes et de tous les programmes de perte de poids. Je pars donc pour cette première réunion vêtue d’un gros chandail et de jeans bien pesants. Je dois bien avoir ajouté un bon 5 lb à mon poids réel.
En mars, je notais dans ce journal mes dix raisons pour arrêter de boire de l’alcool. En troisième place venait mon désir de perdre du poids. Et j’étais certaine que ce serait facile à faire parce que c’est tout simplement mathématique. Une règle de trois… Alors, je ne comprends pas. Je dois être un cas spécial !
Je ne fume pas, je ne bois plus d’alcool et là, il va falloir que je mette au régime ? PLus de chocolat, plus de gâteaux, plus de petits plats de chez le traiteur ? Qu’est-ce qu’il va me rester comme plaisir ? Le sexe ? Il faudrait que Jean-Marc arrête de voyager si souvent…
Les mots ont un poids. Oui, oui. Et parfois, un poids énorme, même. Et ce poids gigantesque, vous le traînez avec vous, partout. Il vous alourdit et vous fait marcher les épaules basses. Parfois, vous les oubliez, ces mots, vous ne les sentez plus et vous marchez allègrement, la tête haute, le pied léger et… Bang ! Quelqu’un vous les relance au visage.
C’est ce qui m’est arrivé hier alors que je profitais innocemment d’une des belles journées du mois d’août. Montréal est tellement belle en été ! Je venais de passer le cap de sept mois sans alcool et je me sentais assez forte pour aller me promener sur la rue Saint-Denis, la rue des terrasses. La rue était bondée de monde et je me sentais incroyablement bien, en paix avec moi-même.
Et voilà ! J’ai eu l’impression d’avoir reçu un coup de massue. Je suis partie honteuse, écrasée par le poids des mots. Ma décision de ne pas prendre d’alcool pendant un an est rapidement devenue « Catherine ne boit pas » puis, peu à peu « Elle ne boit plus. » Un raccourci. Comme le jeu du téléphone. Si je ne bois plus, c’est que je buvais et tout le monde sait très bien ce que « boire » veut dire : Catherine avait un problème d’alcool. Un problème d’alcool terrible. Je me souviens encore de ma mère qui chuchotait à mon père : « Le mari de la voisine boit ». « Elle doit cacher son flacon de
parfum ». Et je revois cet homme, cet alcoolique aux yeux rouges, à la démarche toujours un peu chambranlante et aux crises de colère qui effrayaient tous les enfants du quartier. Une image terrible !
Je n’ose pas imaginer quelle image les gens ont en tête quand ils entendent : « Catherine a arrêté de boire. »
Ce dernier incident m’a bien fait réfléchir. Ma décision de ne pas boire pendant un an a fait de moi, aux yeux de plusieurs de mes collègues et amis, une alcoolique. Pourquoi ? D’abord, parce que je ne bois pas du tout, même pas un petit verre de temps en temps. Mais aussi à cause de la façon dont ma décision est présentée, à cause des mots qu’on utilise. Est-ce que par un petit jeu de dialectique, je ne pourrais pas changer la perception que les gens ont de moi et de ma décision ?
Alors, j’ai décidé de reviser ma façon de présenter ma résolution. Je me suis préparé une description moderne, un remixage d’expressions bien branchées, évocatrices d’images exotiques et cultivées. Le fond est vrai, c’est la façon de le dire qui a changé. Et, le croirez-vous, ça marche !
Depuis que j’ai arrêté de boire de l’alcool, je reçois régulièrement, de l’un ou l’autre de mes amis, des articles de journaux, des analyses scientifiques, des liens vers des reportages télévisés, parfois sérieux, parfois humoristiques, sur le même sujet : les bienfaits de la consommation d’alcool. Dès qu’un rapport quelconque sur le sujet surgit, hop ! on me le fait suivre. Pas de délais ! Les courriels et les médias sociaux se font aller.
Mais quand, le 12 mai dernier, l’Organisation mondiale de la santé a présenté son Rapport de situation mondiale sur l’alcool et la santé, personne, mais vraiment personne ne m’en a parlé. Personne ne m’a envoyé de liens vers des articles ou des entrevues à la radio ou à la télévision sur ce sujet. Même pas un petit commentaire de mes amis sur FB ou Twitter ! Silence quasi total. Je crois que c’est parce que le rapport est assez inquiétant, certains pourraient même dire, alarmant. Le titre de leur communiqué de presse donne le ton : L’OMS appelle les gouvernements à redoubler d’efforts pour éviter les décès et les maladies liés à l’alcool.
C’est vrai aussi que les médias se sont faits, en général, assez discrets sur le sujet. Et leur réaction était plutôt uniforme : une surprise un peu incrédule suivie souvent d’un désir de rassurer. Puis, ils sont vite passés à autre chose. Le rapport est sorti, il y a moins de deux semaines et déjà, on n’en parle presque plus. « Les méfaits de l’alcool », ce n’est pas un sujet particulièrement gai pour une population qui aime bien boire, comme c’est le cas au Québec.
Une seule personne dans mon entourage n’a pas hésité à m’en parler : mon amie Marie qui ne boit pas du tout depuis presque toujours. Elle m’a téléphoné un matin pour me conseiller d’écouter une entrevue radiophonique sur le sujet. Comme elle a bien fait ! Comme je la remercie ! J’ai trouvé l’entrevue non seulement intéressante, mais aussi bien amusante. L’animatrice avait invité à son émission d’information un médecin pour commenter le rapport de l’OMS.
Dès le début de l’entrevue, on voit bien que l’animatrice est non seulement surprise, mais aussi atterrée par le contenu du rapport.
Dès le début de l’entrevue, on voit bien que l’animatrice est non seulement surprise, mais aussi atterrée par le contenu du rapport.
Ah ! Le médecin est lui aussi surpris ! Et c’est un mé-de-cin ! L’animatrice ne perd pas une seconde. Il y a peut-être une faiblesse dans les données du rapport…
Ah, oui, c’est vrai. Ce rapport est quand même produit par une agence des Nations unies… Mais il y a sûrement une explication à ces chiffres affreux. Ils ne peuvent pas s’appliquer à notre comportement à nous ? Il faut aussi rassurer les auditeurs. L’animatrice tend une première perche à son invité.
Merde ! Une perche de perdue ! Le docteur n’a pas répondu comme elle l’aurait souhaité. Mais elle n’a pas dit son dernier mot. Elle a d’autres perches…
L’animatrice commence à penser que ce médecin ne comprend pas vite. Il n’a pas l’air de vouloir l’aider. Mais elle a un atout dans son jeu… Un atout imbattable, une donnée scientifique que tout le monde connaît
Et voilà ! Ce n’était pas si difficile, docteur ! C’est ce qu’elle voulait lui entendre confirmer : l’alcool est bon pour la santé !
Hum… Ce n’est pas bon du tout, ça ! 200 maladies ! Mais le brave docteur a aussi parlé de cette maladie-épouvantail, celle qu’on agite devant les buveurs d’alcool ! Celle dont la cause est bien connue…
Et voilà, le mot qu’il fallait dire. Nous, au Québec, la modération, on connaît ça ! On l’a même institutionnalisée !
Grand soupir de soulagement. Au Québec, Éduc’alcool avec son thème de modération nous sert de bouclier. Finalement, son public et elle-même rassurés, l’entrevue terminée, l’animatrice peut enfin passer au sujet suivant de son émission. Un sujet beaucoup plus léger et intéressant : « Avec le mois de juin qui arrive, quelle sera votre boisson préférée de l’été ? Le vin blanc ou le rosé ? »
Peu de temps après cette entrevue à la radio, j’ai lu un court article sur La Presse +, édition du 21 mai, intitulé Le monde boit. L’article se termine par un commentaire de M. Hubert Sacy, directeur gnénéral d’Éduc’alcool : Le Canada et le Québec consomment plus que la moyenne mondiale, mais leur relation avec l’alcool est plus équilibrée qu’ailleurs, dit M. Sacy. Au Québec, poursuit-il, les trois quarts des buveurs consomment de façon « parfaitement responsable ».
Bon, l’article n’explique pas ce que M. Sacy entend par une relation équilibrée avec l’alcool, ni ce qu’est une consommation responsable. Mais, selon lui, au Québec, dans ce domaine, tout va plutôt bien, alors ? La modération nous protège donc des problèmes liés à la consommation d’alcool?
Je dois dire que d’une façon générale,les données ne sont pas du tout rassurantes :
Les groupes à faible revenue sont les plus touchés
Les beuveries excessives (binge-drinking) sont très populaires. 16 % des buveurs dans le monde et plus de 23 % au Canada s’y adonnent.
Les consommateurs d’alcool dans le monde ingurgitent en moyenne 17 litres d’alcool pur par année.
Et les données touchant les femmes sont encore plus inquiétantes :
Même si les décès reliés à la consommation d’alcool touchent plus les hommes (7,6 %) que les femmes (4 %), celles-ci « pourraient être plus vulnérables face à certains problèmes de santé liés à l’alcool. »
Et les auteurs du rapport s’inquiètent du fait que la consommation d’alcool est en augmentation constante chez les femmes.
J’y retrouve d’abord les mêmes recommandations que celles de chez Educ’alcool :
pas plus de 21 verres par semaine pour l’usage régulier chez l’homme (3 verres par jour en moyenne)
pas plus de 14 verres par semaine pour l’usage régulier chez la femme (2 verres pasr en moyenne)
jamais plus de 4 verres par occasion pour l’usage ponctuel
s’abstenir au moins un jour par semaine.
Mais, tout en bas de la page, il y a un petit tableau. En le lisant, j’ai un coup au coeur. C’est une mise en garde sérieuse pour ceux qui se reposent sur la tranquillité d’esprit apportée par les chiffres précédents :
Pas de consommation sans risques ! Même une consommation modérée (max. 3 verres par jour chez l’homme et 2 chez la femme) est associée à un accroissement du risque de cancers des voies aérodigestives supérieures, cancer du foie, cancers du sein et du côlon-rectum.
Toure consommation régulière peut, chez les personnes présentant une vulnérabilité, conduire à une assuétude. Toute consommation d’alcool a une influence sur le comportement et les réactions et peut conduire à des accidents et actes préjudiciables.
Bon ! J’ai appris un mot nouveau, assuétude, synonyme de dépendance. Mais j’ai aussi appris qu’il y a de nombreux risques associés à la consommation d’alcool. Et ce, même sans en abuser. Et ça, ça ne me plaît pas du tout…
Car moi, c’est juste pour un an que je veux arrêter l’alcool…
Note de l’auteure; : N’oubliez pas de consulter la page des liens pour voir toutes les références reliées à cet article.