Je me lève sans réveiller mon chum… J’aurais bien envie de rester au lit avec lui. L’appartement est encore un peu froid. Le lit, lui, est chaud et ce serait bon de me blottir sous les couvertures, les fesses bien collées sur celles de mon chum. Mais voilà, j’ai trop mal à la tête pour rester au lit. Des maux de tête qui ont commencé ces derniers temps et qui me réveillent tôt le matin. Et puis, je veux écrire dans mon journal. Je tiens à documenter mon année de sobriété. Je me suis promis de le faire de façon hebdomadaire. Avec un homme dans mon lit, maintenant, écrire le soir est devenu impossible.
Car mon chum est revenu à Montréal depuis une semaine. Il était temps ! Jean-Marc a tellement voyagé que je ne l’ai pas vu du mois de janvier. Le 30 décembre, il a amené ses deux grands ados faire du ski dans le Nord, pour quelques jours. Oui, mon chum est séparé et il a des enfants : Martine et Nicolas. Jean-Marc était déjà séparé quand je l’ai connu. Enfin, il n’a jamais été officiellement marié, mais c’est pareil. Je m’entends bien avec ses enfants. Enfin, comme on peut bien s’entendre avec des ados ! Et j’étais invitée à aller avec eux faire du ski. Mais dans ma famille, le Jour de l’An, c’est sacré ! Alors, pas de ski en petite famille reconstituée pour moi !
Aussitôt revenu des Laurentides, Jean-Marc est parti tout de suite pour un voyage de près d’un mois à Silicon Valley. Il travaille en informatique, bien sûr. J’aurais tellement aimé aller avec lui ! Mais, j’étais débordée au travail après les Fêtes et il n’était pas question que je prenne congé. Ce sera pour une autre fois. Il devra y retourner souvent d’après lui. Un mois, sans son chum, c’est long ! Heureusement qu’on a pu se parler en vidéo !
Conversation sur l’ordi. avec mon chum.
Mon chum aussi s’est ennuyé. En rentrant de voyage, il est venu directement chez moi !
En direct de Napa!
J’ai attendu son retour pour lui annoncer que j’avais arrêté de boire. Je préférais avoir cette discussion avec lui, face à face. Mon chum se targue d’être un expert en vin, un fin connaisseur. Il a même suivi des cours d’œnologie et il est très fier de la petite collection dans son armoire à vin. Et là, sa blonde va lui annoncer qu’elle ne boit plus !
Je n’ai pas pris d’alcool depuis un mois, déjà ! Un mois ! Je suis heureuse et pas mal fière de moi ! Étonnée, aussi. Comment ai-je fait pour tenir tout un mois ? Les premiers jours, je pensais que je n’y arriverais pas. Puis, après le cinquième jour, j’ai pris une grande décision :
J’arrête d’y penser ! J’arrête de me poser des questions. J’arrête de m’analyser.
Et c’est pour ça que j’ai cessé d’écrire mon journal. Faire un bilan comme ça, jour après jour, ne me faisait que penser encore plus à l’alcool. Alors, j’ai utilisé un autre système : j’ai fait un petit calendrier des mois de janvier et février dans mon journal. Le soir avant de me coucher, je fais simplement une petite coche rose si je n’ai pas bu d’alcool dans la journée. C’est simple ! Et pour le mois de janvier, il ne me manque aucune coche !
Ben, façon de parler… Il y en a sûrement qui pensent qu’il m’en manque une pour vouloir arrêter de boire complètement pour un an.
Mais si, après mes premiers jours de sobriété, le mois de janvier a semblé passer vraiment rapidement, c’est que mes habitudes de vie ont changé. Le temps des Fêtes s’est terminé et je suis retournée au travail. J’ai été débordée. En fait, j’ai passé le mois de janvier un peu comme une zombie. Métro-Boulot-Dodo. Pas le temps de penser ? Parfait !
De plus, au niveau social, le mois de janvier, c’est le calme plat. Facile d’éviter le verre de vin du midi ou encore celui de l’apéro après le travail. Après les excès du mois de décembre et du temps des Fêtes, chacun a ses raisons pour manger son lunch à son pupitre ou encore, pour rentrer directement à la maison après le travail. Tant mieux pour moi !
Je me suis levée, ce matin, avec un énorme sentiment de culpabilité envers France. J’ai l’impression d’avoir gâché notre soirée ensemble, de l’avoir laissé tomber.
Et ça me chicote d’autant plus que ce soir, c’est le souper d’anniversaire d’une autre amie, une amie d’enfance, Solange. Nous avons pratiquement le même âge. Je suis née quelques semaines avant elle. Nous fêtons cette année un anniversaire important : nous changeons de décennie ! Nous avions décidé, il y a déjà plusieurs années, de célébrer cet évènement sans fanfares ni trompettes, avec simplement un petit souper à deux chez elle. Oui, juste nous deux ! Toute une soirée pour passer en revue nos souvenirs, les bons et les moins bons, les drôles comme les tristes. Et bien sûr, le tout accompagné d’une bouteille de champagne ou deux…
Je dois absolument l’avertir de ma résolution du Nouvel An avant notre souper. La prévenir qu’elle boira le champagne seule… Un téléphone pas facile à faire.
J’ai arrêté de boire.
Pourtant, il y aura tout ce qu’il faut pour passer une excellente soirée d’anniversaire : un bon petit repas dans sa belle cuisine ; une conversation entre amies ; des souvenirs, des secrets que nous seules connaissons ; des rires et des fous rires. J’apporte aussi son gâteau préféré et je lui ai trouvé un cadeau extraordinaire qu’elle va adorer. Et nous pourrons quand même lever un verre à toutes ces années d’amitié. Elle, avec son champagne, moi, avec… de l’eau pétillante. De l’eau pétillante dans une flûte à champagne ?
Mais pourquoi est-ce que toute cette soirée me semble colorée, ternie plutôt, par mon abstinence ? Cette résolution, cette décision que je croyais personnelle a aussi, je le vois bien, un impact sur les gens autour de moi. Ça va changer ma vie, mais aussi celle des autres. Enfin, c’est l’impression que j’ai. Est-ce vraiment le cas ?
En me préparant pour aller chez Solange, je pense à tout ça, encore et encore. Est-ce que par ma décision de ne pas boire, je ne me trouve pas à punir Solange ? Est-ce que son anniversaire ne sera pas moins agréable du fait que je ne bois pas ? Du fait qu’on ne peut pas sabler le champagne ensemble ? Est-ce que je suis égoïste ? Ai-je le droit de lui faire ça ?
Je pars pour son souper d’anniversaire le cœur gros et les idées bien mélangées.
Encore une nuit agitée, remplie d’anxiété. Je pensais que ce mauvais sommeil était dû au vin que je prenais dans la soirée. Tout le monde sait que l’alcool a un effet dépressif. Mais là, après trois jours sans boire, je ne vois pas vraiment de différence. Peut-être que ça prendra un peu plus de temps…
Je me dépêche de me lever, car j’entends du bruit dans la cuisine. Jeanne doit déjà être debout.
Jeanne est une lève-tôt.
8 h
Au déjeuner, Jeanne me reparle de ma résolution. Elle a eu le temps d’y penser en faisant son yoga du matin et ne comprend toujours pas. Arrêter toute une année, complètement, c’est trop drastique ! Et vraiment, selon elle, j’ai surtout besoin de manger mieux, de faire de l’exercice. Comme du yoga, le matin, par exemple ?
Je me sens incapable de reprendre cette discussion de la veille. Mes raisons pour arrêter de boire sont quelque part dans la brume de mon cerveau. Je ne peux toujours pas les formuler. Et comme je n’ai pas envie de parler de mon poids à 8 h le matin, je cherche vite un autre sujet de conversation. Alors, je me dis que comme je me suis déjà engagée sur la voie des confidences en lui révélant ma résolution du Nouvel An, autant lui parler aussi de mon projet de webcomic. Je lui montre donc le journal que j’ai commencé.
Quand ce n’est pas le corps qui a mal, c’est le coeur qui se plaint.
Je me lève tôt après une nuit agitée. Encore l’impression de ne pas avoir vraiment dormi. Cette fois-ci, probablement à cause des sentiments d’anxiété et de dépression qui m’assaillent toutes les nuits, vers 4 h le matin. Et ce, depuis plusieurs mois déjà.
Quand ce n’est pas le corps qui a mal, c’est le cœur qui se plaint.
Mais il me semble que je me lève moins péniblement et mon mal de gorge est parti. Et une fois debout, comme par magie, les pensées déprimantes et anxieuses disparaissent.
Je me sens prête pour la troisième journée de ma résolution du Nouvel An. Aujourd’hui, j’aurai la visite d’une amie, Jeanne, de passage à Montréal. Elle vient passer deux jours chez moi. Comme elle prévoit arriver pour le dîner, j’en ai profité pour aussi inviter deux amies, Denise et Marie, à qui je veux la présenter. Ce sera chouette de se retrouver entre filles. Et comme c’est pour le repas du midi, je n’ai pas à me soucier de la question d’alcool. On ne boit pratiquement jamais le midi.
Denise est la première à arriver… avec une surprise :
Fêter entre amies
Misère ! Il y a trois jours, j’aurais trouvé ça ben fin de sa part, mais là… Et puis, je ne veux pas lui parler de ma résolution. Pas encore. Je ne me sens pas prête. Alors, je lui dis que c’est une bonne idée, mais que moi, je ne pourrai pas en boire, malheureusement. J’ai mal dormi la nuit passée et j’ai déjà mal à la tête. Puis, comme le dit la chanson… « Le bon vin m’endort » et je dois m’occuper de mon amie. Je me prépare à être ferme et à tenir ma résolution, peu importe les arguments de
Denise. Mais, elle dit « Ah bon ? » et n’insiste pas. Ah, ben !
Alors, au dîner, Jeanne et Denise boivent du vin. Un verre seulement, chacune. Je les trouve bien raisonnables. Marie, elle, ne boit jamais. Par goût. Elle n’aime pas ça. Moi, je bois de l’eau. Personne ne passe de remarques. Je ne dis rien, mais je regarde la bouteille de vin…
Dans l’après-midi, une fois Denise et Marie parties, je n’y tiens plus. J’ai besoin de me confier à quelqu’un. Je décide de dévoiler ma résolution de l’année à Jeanne.
Tu n’es pas alcoolique
Non, non ! Bien sûr que je ne suis pas alcoolique ! Et bien sûr que j’ai des raisons ! Mais je ne les trouve plus. Elles m’échappent. J’ai la tête vide. Peut-être parce que c’est la première fois que je dois les articuler à haute voix, que je dois les présenter à quelqu’un d’autre d’une manière un peu structurée… Je vois bien que je dois trouver autre chose à dire que « Ça va me faire du bien… », mais avant que j’aie pu lui donner une seule raison…
Tu devrais mincir.
Et la conversation dévie sur la question de mon poids. Elle me donne des recettes, des suggestions d’exercices. Je lui dis que je veux faire un seul changement à la fois. D’abord couper l’alcool ! C’est sûr que je veux mieux manger et que j’aimerais perdre du poids. Mais la rebelle en moi n’aime pas se faire dire quoi faire. Et puis, je suis très susceptible à propos de mon poids et j’ai horreur de recevoir des conseils à ce sujet de la part d’amies ultras minces. Bon, c’est certain que celles qui ont aussi de l’embonpoint ont moins de conseils à donner…
Les heures passent vite. On parle de tout et de rien. On rit beaucoup. On se parle de nos projets personnels, professionnels. On rêve. Je me sens bien. Dehors, il fait déjà noir. Et tout à coup, j’ai le goût d’un verre de vin blanc. Il me semble que ce serait tellement bon, là, maintenant. Nous deux, ensembles, avec un verre de vin à la main… J’essaie de ne pas y penser, mais je réalise que c’est maintenant l’heure de l’apéro. En bonne hôtesse, je dois offrir quelque chose à boire à mon invitée. Je ne veux pas imposer mon choix aux autres. Je ne veux pas la priver parce que moi, je ne veux pas boire. Mais, maudit, j’aurais donc dû prendre ma résolution de ne pas boire APRÈS le temps des Fêtes !
Même si ce n’est pas facile, je prends mon courage à deux mains et je sors la bouteille de vin blanc pour elle et la bouteille d’eau minérale pétillante pour moi. Je suis fière de moi. Mais, surprise !
Simplement arrêter ?
Quoi ? Elle arrête comme ça ? Sans tourment ? Sans questionnement ? Sans résolution ? Vraiment ? Est-ce qu’elle essaie de me dire quelque chose, là ? Me montrer que l’alcool, en fait, ce n’est pas un problème ? Ce n’est pas un problème pour elle, il semble. Mais pour moi ? Est-ce que je suis en train de faire toute une histoire avec rien, au fond ?
Mais, je n’ai rien dit et on a bu de l’eau pétillante. On s’est fait un bon petit souper… avec beaucoup de légumes. La soirée s’est terminée par un film au cinéma du coin. On n’a plus parlé d’alcool. Plus du tout. Mais moi, j’y ai pensé. Toute la soirée, même ! Et en me préparant pour aller au lit, j’étais une fois de plus, très songeuse…