22 mars 2014
Mon Dieu, que l’hiver est long cette année ! Long et froid ! Il paraît qu’on bat des records ! C’est terrible ! Et c’est probablement pour ça que ce matin, en regardant par la fenêtre, je me suis laissé
attendrir.
Ça, c’est trop fort ! C’est maintenant, alors, que je ne bois plus, que je mets à avoir des hallucinations auditives ! Mais, sérieusement, le pauvre petit minou faisait vraiment trop pitié ! Je n’ai pas pu résister ! Je vais le prendre pour quelques heures. Le temps que j’écrive mon journal et que lui se réchauffe. Le temps qu’il mange un peu aussi. Je vais lui donner une petite boîte de sardines… Après, je vais le remettre dehors. Il doit bien avoir une maison, ce chat-là !
J’ai hâte de fêter mes trois mois de sobriété ! Mais le mois de mars est long, long à n’en plus finir ! Cinq fins de semaine en mars ! Et le temps passe lentement… Mars est un long mois gris. Comme un mois de pénitence avant le mois d’avril qui est vraiment, ici, celui du début du printemps. Le mois où les crocus vont finalement commencer à sortir dans les parterres. Oui, mars c’est un mois de pénitence… C’est vrai que c’est le mois du carême…
Le carême ! Je n’observe pas le carême. Et quand j’étais enfant, non plus. Mais ma mère, elle, quand elle était petite, le carême, c’était sacré ! Pas de bonbons, pas de dessert pendant 40 jours ! Certains hommes, comme mon grand-père, faisaient aussi le sacrifice de l’alcool. Mon grand-père ne buvait presque pas de toute façon. Je pense que peu de gens savent qu’à cette époque la vente d’alcool était interdite le Vendredi saint dans toute la province de Québec ! Dans les épiceries, les comptoirs de bière étaient recouverts d’une grande toile pour en interdire l’accès.
(…)
Ma mère a grandi dans un Québec très catholique. Les années 50, c’était encore la période de la Grande Noirceur ! Le Québec en a fait du chemin depuis ce temps-là !
Elle raconte que quand elle était jeune, l’alcool, c’était surtout une affaire d’hommes. Sa mère ne buvait pas, sauf un petit verre de vin de pissenlit dans les occasions spéciales. Les hommes buvaient surtout de la bière. Et ils pouvaient aller la boire dans un lieu qui leur était réservé, loin du regard de leurs femmes, de leurs blondes et de leurs mères : les tavernes !
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On ne verrait pas ça, aujourd’hui. Mais c’est vrai qu’à cette époque, l’épicier du coin connaissait toutes les familles et leurs enfants. Il savait à qui il pouvait faire confiance.
Le Québec a commencé à changer, à bien des égards, dans les années 60, mais c’est en 1970, seulement, que les brasseries ont obtenu le droit d’ouvrir leur porte aux femmes. Un des premiers endroits à avoir fait ce changement a été Le Gobelet, dans le nord de la ville, sur la rue Saint-Laurent. Un établissement célèbre à Montréal à l’époque, réputé pour son choix de bière, son décor et sa bouffe de style québécois. Ma mère a fêté plusieurs fins de sessions avec d’autres étudiants dans le sous-sol de cette brasserie accueillante pour les jeunes.
En 1971, l’âge légal pour consommer de l’alcool est passé de 21 ans à 18 ans. Les amis de ma mère, comme bien des jeunes, fréquentaient surtout le Vieux-Montréal et la rue Saint-Denis. Les endroits où il était possible d’aller prendre un verre, garçons et filles ensemble augmentaient rapidement : bars, brasseries, hôtels, cafés (avec permis de boisson), etc. Certaines tavernes prenaient même la peine de faire des petits sondages sur l’inclusion ou non des femmes. Ils installaient des listes de feuilles sur les portes de leur établissement, sur lesquelles les gens, hommes et femmes, pouvaient donner leur avis sur le sujet. Les commentaires n’étaient pas toujours très polis à l’égard des femmes… Mais si l’avis était favorable, le propriétaire installait alors une grande affiche à l’extérieur de la taverne sur laquelle on pouvait lire : « Bienvenue aux Dames » .
Même si ma mère et ses amies, curieuses de pouvoir enfin voir l’intérieur de certaines
tavernes de quartier, sont allées parfois y prendre une bière, en général, elles les évitaient.
Si en 1979, une nouvelle loi stipule que toute nouvelle taverne devra maintenant accepter les femmes, ce n’est qu’en 1986, qu’une loi forcera toutes les tavernes, anciennes et nouvelles, à accepter les femmes. Ce qui n’a pas fait, bien sûr, l’affaire de tout le monde.
Vous pouvez lire la suite de ce chapitre dans le roman graphique La sobriété volontaire. Une année sans alcool (2015, 2018)