Hier soir, j’ai fait mon “coming out” auprès de mes collègues de travail. J’ai finalement révélé ma résolution du Nouvel An : je ne boirai pas d’alcool pendant un an.
La sobriété volontaire.
Ça fait déjà deux mois que je ne bois plus, mais je n’en avais pas encore parlé au bureau. L’occasion ne s’était jamais présentée. Après les abus du temps des Fêtes, tout le monde est plus ou moins au régime. On mange plus souvent au bureau le midi. Un petit lunch sérieux, comme une petite salade minceur. Et quand parfois, on décide de se payer le resto, comme le vendredi midi, par exemple, personne (ou presque) ne boit d’alcool, vin ou bière.
Je n’ai pas d’amis proches parmi mes collègues de bureau. Et si on se voit parfois en dehors du travail, nos conversations restent assez superficielles. Je vois encore ma décision d’arrêter de boire comme un choix personnel et à part quelques amies choisies, je n’en ai pas parlé autour de moi. Et puis, je suis un peu superstitieuse. J’ai peur qu’après avoir annoncé ma résolution à la ronde, je ne sois plus capable de la tenir. Et là, j’aurais tellement honte ! Alors, je préfère attendre le plus longtemps possible avant de confier aux gens ma résolution de sobriété. Un peu comme quand pour un bébé, on attend d’être enceinte de trois mois avant de l’annoncer…
Mais hier soir, il y a eu un party au bureau. On a fini un gros contrat et dans les délais prévus en plus. Alors le client, reconnaissant, nous a envoyé deux caisses de champagne. Donc, vendredi soir, célébration dans les locaux de la compagnie. Un 5 à 7 avec champagne et petites bouchées fancy achetées chez un traiteur du Plateau…
J’ai hésité… J’avais trois options qui m’auraient permis de garder encore secrète ma résolution.
Option 1 : Faire une petite entorse à ma résolution pour cette occasion spéciale. C’était bien tentant. Ce champagne est de qualité et il est gratuit ! Et les bulles sont toutes petites, très légères.
Option 2 : Laisser mes collègues me servir un verre de champagne, en pensant que je serai assez forte pour me promener toute la soirée avec un bon verre sous le nez sans être tentée d’y goûter, d’en boire. Mais je trouvais que c’était un peu risqué.
Option 3 : Faire semblant de boire de l’alcool. Faire comme au party du Jour de l’An dans ma famille. Me promener avec un verre d’eau pétillante dans une coupe à champagne.
Puis j’ai réfléchi… Pourquoi est-ce que je cacherais ma décision ? Est-ce que ce serait si terrible d’annoncer que je ne bois pas ? De quoi ai-je peur, finalement ? C’est une décision personnelle. Et c’est juste un verre de champagne. Juste de l’alcool…
Alors, j’ai choisi de simplement dire la vérité, mais sans faire une grande annonce. La nouvelle a fait rapidement le tour du bureau.
Je n’ai pas pris d’alcool depuis déjà deux mois ! Deux mois complets ! Bon, le deuxième est un peu court, mais c’est un mois pareil ! Ça compte ! Deux mois, sans champagne, sans vin, sans bière. Rien !
Le deuxième mois a été un peu plus facile que le premier. Est-ce que l’alcool me manque encore ? Pas tout le temps. Pas tous les jours. Mais, il y a bien sûr encore des moments très difficiles.
Quand je suis seule, c’est encore et toujours au moment de l’apéro. Juste avant le repas. C’est mon temps pour relaxer et souvent encore, je me dis que ce serait tellement bon avec un verre de vin blanc… Mais après avoir mangé, ça va mieux. Je n’y pense plus.
C’est quand je suis avec les autres que c’est encore très difficile. Peu importe le moment de la journée, peu importe l’occasion. Refuser de prendre le verre qu’on t’offre. Devoir t’expliquer, te justifier même ! Je me sens toujours mal à l’aise. Mais, ça devient de moins en moins dur. En fait, je crois que maintenant j’entre plutôt dans une phase d’exaspération.
Mais, je sors beaucoup moins. Je reçois moins aussi…
Mes dix raisons pour arrêter l’alcool.
Quand on me demande pourquoi j’ai décidé d’arrêter de boire complètement, les mots me manquent. Je dis que je sens que j’en ai besoin, que ça va me faire du bien… Mais les gens veulent plus de détails. On me demande de m’expliquer mieux. Mais je n’arrive pas à articuler mes raisons de façon claire et cohérente. Peut-être parce que pour moi-même, c’est un peu confus. Même si j’y pensais depuis longtemps, j’ai pris ma décision de façon un peu impulsive le matin du 1er janvier. Alors, il est temps d’articuler clairement une liste de mes principales raisons pour arrêter de boire. Je vais la mettre sur mon frigo, la traîner dans mon sac à main, la copier en plusieurs exemplaires.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément
Nicolas Boileau (1636-1711)
Alors, il est temps d’articuler clairement une liste de mes principales raisons pour arrêter de boire. Je vais la mettre sur mon frigo, la traîner dans mon sac à main, la copier en plusieurs exemplaires.
1. Améliorer mon état de santé général
2. Mieux dormir
3. Perdre du poids
4. Éliminer mes douleurs musculaires
5. Retrouver ma mémoire, ma concentration
6. Récupérer mes soirées, mon temps en général
7. Être plus présente à la vie
8. Ne plus me sentir coupable
9. Réduire mon anxiété, mes déprimes saisonnières
10. Prouver que je suis plus forte que l’alcool
Raison no 1 : Améliorer mon état de santé général
Sur l’internet, on trouve toutes les réponses. Toutes.
Est-ce que l’alcool est bon ou mauvais pour la santé ? J’ai toujours entendu dire qu’un petit verre de vin par jour est bon pour la santé, particulièrement pour prévenir contre les maladies cardio-vasculaires. Depuis que j’ai arrêté de boire, je reçois régulièrement de mes amies, de ma famille et même de simples connaissances des articles qui vantent les bienfaits d’un verre d’alcool quotidien. Le tout, c’est de boire avec modération, n’est-ce pas ? On m’invite à vérifier par moi-même en faisant une petite recherche sur internet. C’est ce que j’ai fait récemment.
Raison no 2 : Dormir mieux
Depuis quelque temps, je dors mal. Et je suis pas mal certaine que ces problèmes de sommeil sont directement reliés à ma consommation (ou surconsommation ?) d’alcool. Lorsque je bois du vin le soir, je m’endors vite. (Oui, comme dans la chanson Le bon vin m’endort…) Mais après quelques heures d’un sommeil lourd, je me réveille au milieu de la nuit avec des sueurs et des palpitations. Difficile de me rendormir. Et quand j’y arrive, mon sommeil est agité.
Et ce n’est pas tout : il paraît même que je ronfle ! Mais ça, ce n’est pas certain.
C’est mon chum qui le dit.
Je ronfle, tu ronfles, nous ronflons.
Raison no 3 : Perdre du poids
Alors là, c’est ma-thé-ma-ti-que ! En éliminant le vin, je perdrai du poids. Un verre de vin de cinq onces contient environ 100 calories. Alors, disons que je prends deux verres de vin par jour, cinq jours par semaine, pour un calcul facile. J’arrive à 1000 calories par semaine. En un an, ce sera 52 000 calories en moins que j’aurai prises. Pour perdre une livre de graisse, il faut éliminer environ 3 500 calories. Petite règle de trois rapide : en un an, j’aurai perdu environ 15 lb ! Et ça, c’est en calculant de façon plutôt conservatrice la quantité d’alcool que je prends en une semaine. Parce que, honnêtement, je crois que je prenais du vin tous les soirs et parfois, plus que deux verres…
Et je ne sais pas si vous avez déjà vu un verre de cinq onces…
Un verre de vin de cinq onces.
Raison no 4 : Éliminer mes douleurs musculaires
J’ai commencé il y a quelque temps à souffrir de douleurs musculaires terribles. J’ai même eu un diagnostic de fibromyalgie !
Diagnostic de fibromyalgie
Bon, je blague un peu. Mais, c’est vrai que je souffre de douleurs musculaires obscures. Obscures, parce que j’en ignore l’origine. Mon médecin aussi d’ailleurs. Mais les douleurs sont bien réelles. Et si c’est de la fibromyalgie, on n’en connaît pas bien les causes. Mais, on dit qu’il est préférable de ne pas boire d’alcool. On dit…
Raison no 5 : Retrouver ma mémoire, ma concentration
Bien sûr quand on boit un peu trop dans une soirée, il arrive souvent qu’on en perde des bouts… C’est la même chose pour tout le monde. Mais je suis plutôt inquiète de mes trous de mémoire quotidiens. J’oublie le nom des gens, des lieux. Parfois, je n’arrive pas à me souvenir du contenu d’un article que j’ai lu il y a à peine deux jours. Et ma concentration n’est plus ce qu’elle était. Ce ne sont quand même pas déjà les effets de la vieillesse ?
Ça m’effraie. Je ne peux pas continuer à prétendre que tout va bien de ce côté.
Écoute quand je te parle!
Raison no 6 : Récupérer mes soirées, mon temps en général
Eh oui ! Je trouve que l’alcool me vole mon temps libre ! Je travaille à temps plein. Alors, j’ai toujours plein de petits projets que je me promets de faire dans la soirée. Dessiner, peindre, tricoter un chandail à mon chum, écrire une grande lettre à un ami un peu loin, faire le ménage de mon garde-robe… Je veux profiter à plein de ce temps libre.
Mais le vin est un voleur de temps…
Le vin est un voleur de temps.
Raison no 7 : Être plus présente à la vie
C’est une raison un peu difficile à expliquer. Il me semble que ma vie est un peu trop tranquille. Je voudrais entreprendre de grands projets, me donner de nouveaux défis. Je ne sais pas si j’ai raison, mais j’ai l’impression que mon petit verre de vin quotidien est un peu dans le chemin…
Pour l’instant, c’est tout ce que je peux dire.
Raison no 8 : Ne plus me sentir coupable
En ce qui me concerne, l’alcool et la culpabilité vont de pair. Et j’ai horreur de ce sentiment. Ça me tord l’estomac.
Parfois, mon sentiment de culpabilité est justifié. Par exemple, quand sous l’effet de l’alcool, j’ai dit ses quatre vérités à quelqu’un ou encore, j’ai claironné à la ronde le secret d’une amie (oui, ça m’est arrivé et j’en ai honte). Mais je peux aussi me sentir coupable simplement pour avoir pris un verre de trop même si je n’ai rien fait de bien répréhensible. Ou encore, j’ai ri ou parlé trop fort ? Culpabilité. J’ai partagé des sentiments très personnels ? Culpabilité. Je m’endors devant la télé alors que je voulais profiter de ma soirée ? Culpabilité.
Oui, je pourrais aussi me faire psychanalyser… Mais auparavant, je vais arrêter de boire. Ça coûte moins cher.
Raison no 9 : Réduire mon anxiété, mes déprimes saisonnières
Bon, je suis comme beaucoup de gens. J’ai un hamster qui tourne dans ma tête la nuit. Mais il me semble qu’il tourne souvent. Il me réveille même régulièrement vers 4 h le matin. Et il tourne vite et longtemps les soirs où je bois un peu trop. Et puis, comme je bois pratiquement tous les jours, je ne peux pas vérifier si ce petit hamster est vraiment lié à ma consommation d’alcool. Ça vaut la peine d’essayer, non ?
Ça tourne!
Raison no 10 : Prouver que je suis plus forte que l’alcool
Une question qui me travaille depuis longtemps. Est-ce que je suis capable d’arrêter de boire ? Qui a le dessus ? Moi ou l’alcool ? C’est un défi personnel. Si je suis capable d’arrêter pendant un an, ce sera la preuve que c’est moi qui ai le contrôle. Ça me rassurera. Et puis, c’est vrai que je suis un peu compétitive…
Mais aussi, ça répondra peut-être à une autre question qui commence à me chicoter…
Je me lève sans réveiller mon chum… J’aurais bien envie de rester au lit avec lui. L’appartement est encore un peu froid. Le lit, lui, est chaud et ce serait bon de me blottir sous les couvertures, les fesses bien collées sur celles de mon chum. Mais voilà, j’ai trop mal à la tête pour rester au lit. Des maux de tête qui ont commencé ces derniers temps et qui me réveillent tôt le matin. Et puis, je veux écrire dans mon journal. Je tiens à documenter mon année de sobriété. Je me suis promis de le faire de façon hebdomadaire. Avec un homme dans mon lit, maintenant, écrire le soir est devenu impossible.
Car mon chum est revenu à Montréal depuis une semaine. Il était temps ! Jean-Marc a tellement voyagé que je ne l’ai pas vu du mois de janvier. Le 30 décembre, il a amené ses deux grands ados faire du ski dans le Nord, pour quelques jours. Oui, mon chum est séparé et il a des enfants : Martine et Nicolas. Jean-Marc était déjà séparé quand je l’ai connu. Enfin, il n’a jamais été officiellement marié, mais c’est pareil. Je m’entends bien avec ses enfants. Enfin, comme on peut bien s’entendre avec des ados ! Et j’étais invitée à aller avec eux faire du ski. Mais dans ma famille, le Jour de l’An, c’est sacré ! Alors, pas de ski en petite famille reconstituée pour moi !
Aussitôt revenu des Laurentides, Jean-Marc est parti tout de suite pour un voyage de près d’un mois à Silicon Valley. Il travaille en informatique, bien sûr. J’aurais tellement aimé aller avec lui ! Mais, j’étais débordée au travail après les Fêtes et il n’était pas question que je prenne congé. Ce sera pour une autre fois. Il devra y retourner souvent d’après lui. Un mois, sans son chum, c’est long ! Heureusement qu’on a pu se parler en vidéo !
Conversation sur l’ordi. avec mon chum.
Mon chum aussi s’est ennuyé. En rentrant de voyage, il est venu directement chez moi !
En direct de Napa!
J’ai attendu son retour pour lui annoncer que j’avais arrêté de boire. Je préférais avoir cette discussion avec lui, face à face. Mon chum se targue d’être un expert en vin, un fin connaisseur. Il a même suivi des cours d’œnologie et il est très fier de la petite collection dans son armoire à vin. Et là, sa blonde va lui annoncer qu’elle ne boit plus !
Je n’ai pas pris d’alcool depuis un mois, déjà ! Un mois ! Je suis heureuse et pas mal fière de moi ! Étonnée, aussi. Comment ai-je fait pour tenir tout un mois ? Les premiers jours, je pensais que je n’y arriverais pas. Puis, après le cinquième jour, j’ai pris une grande décision :
J’arrête d’y penser ! J’arrête de me poser des questions. J’arrête de m’analyser.
Et c’est pour ça que j’ai cessé d’écrire mon journal. Faire un bilan comme ça, jour après jour, ne me faisait que penser encore plus à l’alcool. Alors, j’ai utilisé un autre système : j’ai fait un petit calendrier des mois de janvier et février dans mon journal. Le soir avant de me coucher, je fais simplement une petite coche rose si je n’ai pas bu d’alcool dans la journée. C’est simple ! Et pour le mois de janvier, il ne me manque aucune coche !
Ben, façon de parler… Il y en a sûrement qui pensent qu’il m’en manque une pour vouloir arrêter de boire complètement pour un an.
Mais si, après mes premiers jours de sobriété, le mois de janvier a semblé passer vraiment rapidement, c’est que mes habitudes de vie ont changé. Le temps des Fêtes s’est terminé et je suis retournée au travail. J’ai été débordée. En fait, j’ai passé le mois de janvier un peu comme une zombie. Métro-Boulot-Dodo. Pas le temps de penser ? Parfait !
De plus, au niveau social, le mois de janvier, c’est le calme plat. Facile d’éviter le verre de vin du midi ou encore celui de l’apéro après le travail. Après les excès du mois de décembre et du temps des Fêtes, chacun a ses raisons pour manger son lunch à son pupitre ou encore, pour rentrer directement à la maison après le travail. Tant mieux pour moi !
Je me suis levée, ce matin, avec un énorme sentiment de culpabilité envers France. J’ai l’impression d’avoir gâché notre soirée ensemble, de l’avoir laissé tomber.
Et ça me chicote d’autant plus que ce soir, c’est le souper d’anniversaire d’une autre amie, une amie d’enfance, Solange. Nous avons pratiquement le même âge. Je suis née quelques semaines avant elle. Nous fêtons cette année un anniversaire important : nous changeons de décennie ! Nous avions décidé, il y a déjà plusieurs années, de célébrer cet évènement sans fanfares ni trompettes, avec simplement un petit souper à deux chez elle. Oui, juste nous deux ! Toute une soirée pour passer en revue nos souvenirs, les bons et les moins bons, les drôles comme les tristes. Et bien sûr, le tout accompagné d’une bouteille de champagne ou deux…
Je dois absolument l’avertir de ma résolution du Nouvel An avant notre souper. La prévenir qu’elle boira le champagne seule… Un téléphone pas facile à faire.
J’ai arrêté de boire.
Pourtant, il y aura tout ce qu’il faut pour passer une excellente soirée d’anniversaire : un bon petit repas dans sa belle cuisine ; une conversation entre amies ; des souvenirs, des secrets que nous seules connaissons ; des rires et des fous rires. J’apporte aussi son gâteau préféré et je lui ai trouvé un cadeau extraordinaire qu’elle va adorer. Et nous pourrons quand même lever un verre à toutes ces années d’amitié. Elle, avec son champagne, moi, avec… de l’eau pétillante. De l’eau pétillante dans une flûte à champagne ?
Mais pourquoi est-ce que toute cette soirée me semble colorée, ternie plutôt, par mon abstinence ? Cette résolution, cette décision que je croyais personnelle a aussi, je le vois bien, un impact sur les gens autour de moi. Ça va changer ma vie, mais aussi celle des autres. Enfin, c’est l’impression que j’ai. Est-ce vraiment le cas ?
En me préparant pour aller chez Solange, je pense à tout ça, encore et encore. Est-ce que par ma décision de ne pas boire, je ne me trouve pas à punir Solange ? Est-ce que son anniversaire ne sera pas moins agréable du fait que je ne bois pas ? Du fait qu’on ne peut pas sabler le champagne ensemble ? Est-ce que je suis égoïste ? Ai-je le droit de lui faire ça ?
Je pars pour son souper d’anniversaire le cœur gros et les idées bien mélangées.