Mon rendez-vous avec l’endocrinologue ne commence pas bien. Alors que je veux lui parler de mes douleurs musculaires, elle s’est arrêtée au fait que je ne bois plus. Et elle pense, comme la plupart des gens, que si j’ai arrêté de boire complètement, c’est que je suis alcoolique. Moi, je voudrais parler du sujet de ma visite : mes problèmes de fibromyalgie. Maintenant qu’elle m’a étiquetée comme alcoolique, pourra-t-elle entendre quoi que ce soit d’autre ?
Mon alcoolisme l’intrigue et elle continue à m’interroger sur ce sujet, ce qui lui causera une surprise de taille…
C’est la faute à la sobriété
Et c’est là-dessus que s’est terminée la consultation. Le médecin me prescrit de recommencer à boire. Boire… avec modération. La modération, la solution à tous les problèmes? Un message que l’on entend beaucoup au Québec. Un message tellement fort que même mon médecin ne le remet pas en question. Oui, je sais que le vin peut avoir des effets bénéfiques sur notre santé. Les antioxydants, entre autres. Mais est-ce que boire un verre de vin par jour est essentiel à une bonne santé ? Et est-ce que vraiment la sobriété totale peut causer des problèmes de santé ?
Je vais quand même attendre avant de faire remplir la prescription de mon médecin…
Même si je ne bois plus depuis plus de neuf mois maintenant, j’ai toujours des douleurs musculaires. C’est très décevant. Je commence à penser que d’arrêter l’alcool ne m’apporte pas beaucoup de bienfaits. J’ai pris du poids et j’ai encore mal partout. Et mon docteur ne sait pas pourquoi j’ai mal comme ça. Je me demande s’il n’y a pas un peu de vrai dans ce que ma coiffeuse me dit chaque fois qu’elle me voit :
Diagnostic de fibromyalgie
Cette semaine, j’ai finalement obtenu un rendez-vous avec un docteur. Ou plutôt, une docteure. Une endocrinologue. J’espère qu’elle pourra m’aider à identifier la source de ces terribles douleurs musculaires. Est-ce vraiment de la fibromyalgie ? Ou de la polyarthrite rhumatoïde ? Mon médecin généraliste ne sait pas. Pour lui, ce sont des douleurs musculaires non définies. Il semble penser que ce sont surtout des problèmes de femme, tout ça. Et il se demande en fait si je ne serais pas un peu déprimée. J’ai mal, docteur ! Ben non, je ne suis pas gaie, gaie ! Il aurait bien voulu me donner un p’tit antidépressif pour régler tout ça. Si j’étais plus heureuse, me dit-il, je n’aurais plus le temps de penser à mes petits bobos. Et je pourrais profiter de la vie. Une belle fille comme vous, a-t-il ajouté ! Et il m’a souri d’un air difficile à identifier avant de me raccompagner jusqu’à la porte. Il avait hâte de passer au patient suivant, un patient avec de vrais problèmes. La salle d’attente en était pleine, d’ailleurs, de patients qui attendaient que ce soit leur tour d’avoir un petit 15 minutes avec le médecin
Alors, j’avais beaucoup d’espoir pour ce rendez-vous avec cette endocrinologue. Une spécialiste et une femme. Enfin, je pourrai me confier à quelqu’un qui pourra me comprendre, qui prendra le temps de m’écouter. Enfin, je pourrai expliquer en détail comment ces douleurs musculaires peuvent parfois empoisonner ma vie. On fera ensemble le tour de la question pour enfin trouver un diagnostic et une solution.
Quand elle a ouvert la porte de son bureau et que je l’ai aperçue, j’ai été charmée. Une femme de mon âge, l’air compétent, au sourire rassurant.
« Vous pensez faire de la fibromyalgie ? On va regarder ça. Laissez-moi vous poser quelques questions. »
Je me suis finalement décidée à m’inscrire à un programme de perte de poids en groupe. J’en ai choisi un que je ne connaissais pas, mais dont le nom correspond à mon attitude face à la perte de poids : Mincir sans souffrir ! Et pour me soutenir dans cette nouvelle aventure, j’ai demandé l’aide de Marie. En bonne amie, elle a même décidé de s’inscrire avec moi. Nous avons choisi d’aller aux réunions du samedi matin. Une bonne façon de commencer la fin de semaine. Ce matin, Marie est passée me prendre à la maison.
Mincir sans souffrir. Comment s’habiller pour se faire peser.
Je ne suis pas vraiment convaincue par son raisonnement, mais elle insiste. Marie a de l’expérience. Depuis, que je la connais qu’elle essaie de perdre du poids ! Je pense qu’elle a fait le tour de tous les régimes et de tous les programmes de perte de poids. Je pars donc pour cette première réunion vêtue d’un gros chandail et de jeans bien pesants. Je dois bien avoir ajouté un bon 5 lb à mon poids réel.
De retour de voyage, de retour à ma petite routine, une pensée m’obsède ! Huit mois sans alcool, huit mois sans boire un seul petit verre de vin ou de bière et le résultat le plus évident, le plus remarquable, c’est un tour de taille plus grand ? Supprimer l’alcool devait me faire perdre du poids, pas gagner 15 lb ! Comment est-ce que j’ai pu prendre 15 lb, comme ça, d’un coup ? Sans m’en rendre compte ? Bon, OK, je sais bien que je ne peux pas les avoir prises d’un coup, mais c’est pourtant l’impression que j’ai. Deux jours avant de me peser, mes jeans me faisaient encore. Bon, ils étaient parfois un peu serrés, mais les jeans, ça fluctue. Après le lavage, ils sont un peu serrés, deux jours après, ils pochent aux genoux et aux fesses. Et puis, il y a des jours dans le mois où quand tu es une fille, ben, tu es comme gonflée et tous tes vêtements sont un peu serrés. Mais maintenant, là, c’est vraiment impossible d’attacher mes jeans. Même en me rentrant le ventre au maximum, même en me couchant sur le dos !
J’étais tellement certaine que j’allais perdre du poids en arrêtant de boire que je ne me pesais même plus ! J’avais décidé d’attendre la fin de l’année pour le faire. Je me disais que ça me ferait comme un beau cadeau de fin d’année de voir toutes ces livres que j’aurais perdues. Maudite belle surprise !
En y réfléchissant un peu et en calculant beaucoup, je me rends bien compte de mes erreurs. J’ai souvent remplacé l’alcool par la bouffe.
Je ne bois plus mais je mange!
À chaque fois, je me disais que comme j’avais économisé des calories en ne buvant pas, je pouvais me permettre une petite gâterie. En fait, je ne les économisais pas puisque je les remplaçais aussitôt par d’autres calories. Quel mauvais calcul ! C’était facile de soustraire les calories des verres de vin que je ne buvais pas, mais plus difficile de penser à additionner celles de toute la bouffe que j’ajoutais. Et c’est clair maintenant qu’au total, je n’ai pas économisé de calories. Bien au contraire !
Je dois faire quelque chose ! Je ne veux pas me remettre à boire avant la fin de l’année, mais je ne peux pas continuer à prendre du poids. Il faut aussi que je perde tout ce poids que je viens de prendre. Mais maigrir de 15 lb, ce ne sera pas facile et ça risque d’être long. Si je perds une livre par semaine, ça va me prendre 15 semaines ! Presque quatre mois ! Ce sera la fin de l’année ! Mon but en arrêtant de boire était aussi de mincir. Idéalement, il faudrait donc que je perde deux lb par semaine. Je n’y arriverai pas sans faire de grands changements dans ma façon de manger. Ce ne sera pas facile. J’ai besoin de soutien. Alors, aux grands maux, les grands moyens ! Même si j’ai toujours dit que je ne ferais jamais ça, je vais m’inscrire à un programme de perte de poids en groupe. Et ce, dès aujourd’hui !
Enfin, dès vendredi. Il faut quand même que je finisse toute la bouffe que j’ai dans mon frigo. Je viens juste de m’acheter des plats préparés et des cannolis de mon épicerie italienne préférée. Je ne vais quand même pas jeter tout ça ! Ce serait du gaspillage !
Les mots ont un poids. Oui, oui. Et parfois, un poids énorme, même. Et ce poids gigantesque, vous le traînez avec vous, partout. Il vous alourdit et vous fait marcher les épaules basses. Parfois, vous les oubliez, ces mots, vous ne les sentez plus et vous marchez allègrement, la tête haute, le pied léger et… Bang ! Quelqu’un vous les relance au visage.
C’est ce qui m’est arrivé hier alors que je profitais innocemment d’une des belles journées du mois d’août. Montréal est tellement belle en été ! Je venais de passer le cap de sept mois sans alcool et je me sentais assez forte pour aller me promener sur la rue Saint-Denis, la rue des terrasses. La rue était bondée de monde et je me sentais incroyablement bien, en paix avec moi-même.
Catherine ne boit plus. Le poids des mots.
Et voilà ! J’ai eu l’impression d’avoir reçu un coup de massue. Je suis partie honteuse, écrasée par le poids des mots. Ma décision de ne pas prendre d’alcool pendant un an est rapidement devenue « Catherine ne boit pas » puis, peu à peu « Elle ne boit plus. » Un raccourci. Comme le jeu du téléphone. Si je ne bois plus, c’est que je buvais et tout le monde sait très bien ce que « boire » veut dire : Catherine avait un problème d’alcool. Un problème d’alcool terrible. Je me souviens encore de ma mère qui chuchotait à mon père : « Le mari de la voisine boit ». « Elle doit cacher son flacon de
parfum ». Et je revois cet homme, cet alcoolique aux yeux rouges, à la démarche toujours un peu chambranlante et aux crises de colère qui effrayaient tous les enfants du quartier. Une image terrible !
Je n’ose pas imaginer quelle image les gens ont en tête quand ils entendent : « Catherine a arrêté de boire. »
Ce dernier incident m’a bien fait réfléchir. Ma décision de ne pas boire pendant un an a fait de moi, aux yeux de plusieurs de mes collègues et amis, une alcoolique. Pourquoi ? D’abord, parce que je ne bois pas du tout, même pas un petit verre de temps en temps. Mais aussi à cause de la façon dont ma décision est présentée, à cause des mots qu’on utilise. Est-ce que par un petit jeu de dialectique, je ne pourrais pas changer la perception que les gens ont de moi et de ma décision ?
Alors, j’ai décidé de reviser ma façon de présenter ma résolution. Je me suis préparé une description moderne, un remixage d’expressions bien branchées, évocatrices d’images exotiques et cultivées. Le fond est vrai, c’est la façon de le dire qui a changé. Et, le croirez-vous, ça marche !