Tag Archives: Alcooliques anonymes

Le poids des mots. La sobriété volontaire

23 août 2014

Les mots ont un poids. Oui, oui. Et parfois, un poids énorme, même. Et ce poids gigantesque, vous le traînez avec vous, partout. Il vous alourdit et vous fait marcher les épaules basses. Parfois, vous les oubliez, ces mots, vous ne les sentez plus et vous marchez allègrement, la tête haute, le pied léger et… Bang ! Quelqu’un vous les relance au visage.

C’est ce qui m’est arrivé hier alors que je profitais innocemment d’une des belles journées du mois d’août. Montréal est tellement belle en été ! Je venais de passer le cap de sept mois sans alcool et je me sentais assez forte pour aller me promener sur la rue Saint-Denis, la rue des terrasses. La rue était bondée de monde et je me sentais incroyablement bien, en paix avec moi-même.

 

Catherine ne boit plus. Le poids des mots.
Catherine ne boit plus. Le poids des mots.

Et voilà ! J’ai eu l’impression d’avoir reçu un coup de massue. Je suis partie honteuse, écrasée par le poids des mots. Ma décision de ne pas prendre d’alcool pendant un an est rapidement devenue « Catherine ne boit pas » puis, peu à peu « Elle ne boit plus. » Un raccourci. Comme le jeu du téléphone. Si je ne bois plus, c’est que je buvais et tout le monde sait très bien ce que « boire » veut dire : Catherine avait un problème d’alcool. Un problème d’alcool terrible. Je me souviens encore de ma mère qui chuchotait à mon père : « Le mari de la voisine boit ». « Elle doit cacher son flacon de
parfum ». Et je revois cet homme, cet alcoolique aux yeux rouges, à la démarche toujours un peu chambranlante et aux crises de colère qui effrayaient tous les enfants du quartier. Une image terrible !

Je n’ose pas imaginer quelle image les gens ont en tête quand ils entendent : « Catherine a arrêté de boire. »

Ce dernier incident m’a bien fait réfléchir. Ma décision de ne pas boire pendant un an a fait de moi, aux yeux de plusieurs de mes collègues et amis, une alcoolique. Pourquoi ? D’abord, parce que je ne bois pas du tout, même pas un petit verre de temps en temps. Mais aussi à cause de la façon dont ma décision est présentée, à cause des mots qu’on utilise. Est-ce que par un petit jeu de dialectique, je ne pourrais pas changer la perception que les gens ont de moi et de ma décision ?

Alors, j’ai décidé de reviser ma façon de présenter ma résolution. Je me suis préparé une description moderne, un remixage d’expressions bien branchées, évocatrices d’images exotiques et cultivées. Le fond est vrai, c’est la façon de le dire qui a changé. Et, le croirez-vous, ça marche !

 

Ça s'appelle la sobriété volontaire.
Ça s’appelle la sobriété volontaire.

Docteur, taisez ces chiffres!

24 mai 2014

Depuis que j’ai arrêté de boire de l’alcool, je reçois régulièrement, de l’un ou l’autre de mes amis, des articles de journaux, des analyses scientifiques, des liens vers des reportages télévisés, parfois sérieux, parfois humoristiques, sur le même sujet : les bienfaits de la consommation d’alcool. Dès qu’un rapport quelconque sur le sujet surgit, hop ! on me le fait suivre. Pas de délais ! Les courriels et les médias sociaux se font aller.

Mais quand, le 12 mai dernier, l’Organisation mondiale de la santé a présenté son Rapport de situation mondiale sur l’alcool et la santé, personne, mais vraiment personne ne m’en a parlé. Personne ne m’a envoyé de liens vers des articles ou des entrevues à la radio ou à la télévision sur ce sujet. Même pas un petit commentaire de mes amis sur FB ou Twitter ! Silence quasi total. Je crois que c’est parce que le rapport est assez inquiétant, certains pourraient même dire, alarmant. Le titre de leur communiqué de presse donne le ton : L’OMS appelle les gouvernements à redoubler d’efforts pour éviter les décès et les maladies liés à l’alcool.

C’est vrai aussi que les médias se sont faits, en général, assez discrets sur le sujet. Et leur réaction était plutôt uniforme : une surprise un peu incrédule suivie souvent d’un désir de rassurer. Puis, ils sont vite passés à autre chose. Le rapport est sorti, il y a moins de deux semaines et déjà, on n’en parle presque plus. « Les méfaits de l’alcool », ce n’est pas un sujet particulièrement gai pour une population qui aime bien boire, comme c’est le cas au Québec.

Une seule personne dans mon entourage n’a pas hésité à m’en parler : mon amie Marie qui ne boit pas du tout depuis presque toujours. Elle m’a téléphoné un matin pour me conseiller d’écouter une entrevue radiophonique sur le sujet. Comme elle a bien fait ! Comme je la remercie ! J’ai trouvé l’entrevue non seulement intéressante, mais aussi bien amusante. L’animatrice avait invité à son émission d’information un médecin pour commenter le rapport de l’OMS.

Dès le début de l’entrevue, on voit bien que l’animatrice est non seulement surprise, mais aussi atterrée par le contenu du rapport.

Dès le début de l’entrevue, on voit bien que l’animatrice est non seulement surprise, mais aussi atterrée par le contenu du rapport.

Le rapport de l'OSM sur l'alcool. On n'en revient pas!
Le rapport de l’OSM sur l’alcool. On n’en revient pas!

Ah ! Le médecin est lui aussi surpris ! Et c’est un mé-de-cin ! L’animatrice ne perd pas une seconde. Il y a peut-être une faiblesse dans les données du rapport…

Rapport de l'OSM sur l'alcool. Premiers doutes.
Rapport de l’OMS sur l’alcool. Premiers doutes.

Ah, oui, c’est vrai. Ce rapport est quand même produit par une agence des Nations unies… Mais il y a sûrement une explication à ces chiffres affreux. Ils ne peuvent pas s’appliquer à notre comportement à nous ? Il faut aussi rassurer les auditeurs. L’animatrice tend une première perche à son invité.

Rapport de l'OMS sur l'alcool. Rassurez-moi, docteur. Prise un
Rapport de l’OMS sur l’alcool. Rassurez-moi, docteur. Prise un

Merde ! Une perche de perdue ! Le docteur n’a pas répondu comme elle l’aurait souhaité. Mais elle n’a pas dit son dernier mot. Elle a d’autres perches…

Rapport de lOMS sur l'alcool. Rassurez-moi, docteur! Prise 2
Rapport de lOMS sur l’alcool. Rassurez-moi, docteur! Prise 2

L’animatrice commence à penser que ce médecin ne comprend pas vite. Il n’a pas l’air de vouloir l’aider. Mais elle a un atout dans son jeu… Un atout imbattable, une donnée scientifique que tout le monde connaît

Rapport de l'OMS sur l'alcool. Rassurez-moi, docteur! Prise trois.
Rapport de l’OMS sur l’alcool. Rassurez-moi, docteur! Prise trois.

Et voilà ! Ce n’était pas si difficile, docteur ! C’est ce qu’elle voulait lui entendre confirmer : l’alcool est bon pour la santé !

Rapport de l'OMS sur l'alcool. On se rassure.
Rapport de l’OMS sur l’alcool. On se rassure.

Hum… Ce n’est pas bon du tout, ça ! 200 maladies ! Mais le brave docteur a aussi parlé de cette maladie-épouvantail, celle qu’on agite devant les buveurs d’alcool ! Celle dont la cause est bien connue…

Rapport de l'OMS sur l'alcool. C'est l'abus!
Rapport de l’OMS sur l’alcool. C’est l’abus!

Et voilà, le mot qu’il fallait dire. Nous, au Québec, la modération, on connaît ça ! On l’a même institutionnalisée !

Rapport de l'OMS sur l'alcool. La modération.
Rapport de l’OMS sur l’alcool. La modération.

Grand soupir de soulagement. Au Québec, Éduc’alcool avec son thème de modération nous sert de bouclier. Finalement, son public et elle-même rassurés, l’entrevue terminée, l’animatrice peut enfin passer au sujet suivant de son émission. Un sujet beaucoup plus léger et intéressant : « Avec le mois de juin qui arrive, quelle sera votre boisson préférée de l’été ? Le vin blanc ou le rosé ? »

Peu de temps après cette entrevue à la radio, j’ai lu un court article sur La Presse +, édition du 21 mai, intitulé Le monde boit. L’article se termine par un commentaire de M.  Hubert Sacy, directeur gnénéral d’Éduc’alcool : Le Canada et le Québec consomment plus que la moyenne mondiale, mais leur relation avec l’alcool est plus équilibrée qu’ailleurs, dit M. Sacy. Au Québec, poursuit-il, les trois quarts des buveurs consomment de façon « parfaitement responsable ».

Bon, l’article n’explique pas ce que M. Sacy entend par une relation équilibrée avec l’alcool, ni ce qu’est une consommation responsable. Mais, selon lui,  au Québec, dans ce domaine, tout va plutôt bien, alors ? La modération nous protège donc des problèmes liés à la consommation d’alcool?

Intriguée, je suis allée voir ce fameux rapport de l’OMS . Je ne l’ai trouvé qu’en anglais : Global status report on alcohol and health. 2014.

Je dois dire que d’une façon générale,les données ne sont pas du tout rassurantes :

  • Les groupes à faible revenue sont les plus touchés
  • Les beuveries excessives (binge-drinking) sont très populaires. 16 % des buveurs dans le monde et plus de 23 % au Canada s’y adonnent.
  • Les consommateurs d’alcool dans le monde ingurgitent en moyenne 17 litres d’alcool pur par année.

Et les données touchant les femmes sont encore plus inquiétantes :

  • Même si les décès reliés à la consommation d’alcool touchent plus les hommes (7,6 %) que les femmes (4 %), celles-ci « pourraient être plus vulnérables face à certains problèmes de santé liés à l’alcool. »
  • Et les auteurs du rapport s’inquiètent du fait que la consommation d’alcool est en augmentation constante chez les femmes.

Bon, pas drôle, tout ça…

Mais en continuant à naviguer sur le site internet de l’OMS, je tombe sur
une page intérssante: Recommandation OMS pour une consommation responsable

J’y retrouve d’abord les mêmes recommandations que celles de chez Educ’alcool :

  •  pas plus de 21 verres par semaine pour l’usage régulier chez l’homme (3 verres par jour en moyenne)
  • pas plus de 14 verres par semaine pour l’usage régulier chez la femme (2 verres pasr en moyenne)
  • jamais plus de 4 verres par occasion pour l’usage ponctuel
  • s’abstenir au moins un jour par semaine.

 Mais, tout en bas de la page, il y a un petit tableau. En le lisant, j’ai un coup au coeur. C’est une mise en garde sérieuse pour ceux qui se reposent sur la tranquillité d’esprit apportée par les chiffres précédents :

Pas de consommation sans risques !
Même une consommation modérée (max. 3 verres par jour chez l’homme et 2 chez la femme) est associée à un accroissement du risque de cancers des voies aérodigestives supérieures, cancer du foie, cancers du sein et du côlon-rectum.

Toure consommation régulière peut, chez les personnes présentant une vulnérabilité, conduire à une assuétude.
 
Toute consommation d’alcool a une influence sur le comportement et les réactions et peut conduire à des accidents et actes préjudiciables. 

Bon ! J’ai appris un mot nouveau, assuétude, synonyme de dépendance. Mais j’ai aussi appris qu’il y a de nombreux risques associés à la consommation d’alcool. Et ce, même sans en abuser. Et ça, ça ne me plaît pas du tout…

Car moi, c’est juste pour un an que je veux arrêter l’alcool…

Note de l’auteure; : N’oubliez pas de consulter la page des liens pour voir toutes les références reliées à cet article.

Quoi boire à la fête des Mères ?

10 mai 2014

Demain, nous nous retrouvons en famille pour la fête des Mères. Nous avons choisi de souligner cet évènement en nous retrouvant pour le brunch dans un restaurant très chic de Montréal. Quatre générations de femmes regroupées autour d’une même table : ma grand-mère, ma mère, ses filles et les filles de ma sœur aînée. En général, j’aime bien les réunions familiales. Mais depuis que j’ai cessé de boire, je les redoute un peu. Surtout que semble-t-il, peu importe l’âge de leurs enfants, les mères ont toujours le droit de les critiquer un peu… Et les mêmes critiques peuvent servir d’une génération à l’autre…

Quoi boire pour la fête des Mères?
Quoi boire pour la fête des Mères?

Comment je suis devenue alcoolique.

3 mai 2014

Le 1er mai, alors que certains célébraient la fête des Travailleurs, moi je fêtais mon quatrième mois de sobriété volontaire. Quatre mois sans une goutte d’alcool !

Quand j’ai décidé de prendre comme résolution du Nouvel An de ne pas boire d’alcool pendant un an, j’espérais que cela apporterait quelques changements dans ma vie. Au bout de quatre mois d’abstinence, je ne remarque pas de grandes transformations, sauf une, en fait, à laquelle je ne m’attendais pas du tout : je suis devenue alcoolique !

J’avais remarqué depuis quelque temps que les gens autour de moi voulaient toujours me questionner à ce sujet-là. En général, on évitait d’utiliser le terme « alcoolique ». On parlait plutôt de « problèmes d’alcool ». On le fait toujours d’ailleurs. Mais récemment, je vois que même mes amies font montre d’une certaine gêne quand je refuse un verre d’alcool. Il y a deux jours, d’ailleurs, alors que je me confiais à une amie à ce sujet, elle a rougi jusqu’aux oreilles. Et elle m’a dit : « Mais c’est vrai, Catherine, qu’on peut commencer à se poser des questions. Ça fait tellement longtemps maintenant que tu continues à ne pas boire ! »

Je ne savais pas quoi lui répondre sans m’énerver. Je me suis contentée de la regarder avec de grands yeux surpris, mais dans ma tête, les mots se bousculaient : « Mais c’est une résolution du Nou-vel-An ! Ça va durer encore longtemps. Ça va durer un an ! Douze mois ! 52 semaines ! 365 jours ! Le mois prochain, je ne boirai toujours pas ! »

Elle n’est pas la seule à penser ainsi, malheureusement. Plus je suis longtemps sans boire, plus on me soupçonne d’être alcoolique. Sinon, j’aurais recommencé à boire, n’est-ce pas ? Une drôle de logique : si je me remettais à boire maintenant, donc, en fait, si j’étais incapable de tenir ma résolution pendant un an, ce serait la preuve que je ne suis pas alcoolique ???

Pour l’instant, je mets ce problème de côté. Il est bientôt 16 h et j’ai un petit creux. Il y a sur l’armoire de la cuisine, des restants d’une petite gâterie que je me suis permise pour fêter mes quatre mois de sobriété. J’ai quand même d’autres petites dépendances agréables dont je n’ai pas l’intention de me défaire tout de suite…

Comment je suis devenue alcoolique.
Comment je suis devenue alcoolique.

 

Quatre mois sans alcool !
Quatre mois sans alcool !

 

 

Mon amie me trouve bonne de ne pas boire…

26 avril 2014

J’ai un petit groupe d’amies dont je suis très proche. J’ai souvent pensé que nous sommes presque comme des soeurs. Bien sûr, nous sommes toutes très occupées et on ne se voit pas aussi souvent qu’on aimerait. Mais, nous sommes toujours là quand l’une de nous a besoin d’aide. Nous sommes toujours prêtes à prendre soin l’une de l’autre… mêmes si nous sommes parfois maladroites dans nos bonnes intentions…

Hier soir, c’est moi qui ai été la victime des bonnes intentions de mon amie Denise.

Vendredi soir 25 avril

Le mois d’avril achève, mais ne veut toujours pas prendre un air de printemps. Il pleut et c’est humide… Je grelotte malgré le chauffage. Et personne pour me réchauffer. Jean-Marc est en voyage. Je suis donc de nouveau seule à la maison un vendredi soir. Enfin pas tout à fait seule, car le minou est encore ici. Je n’ai pas le cœur de le mettre à la porte alors que l’hiver refuse de partir. Mais dès les premiers jours de beau temps, je ne lui ouvrirai plus la porte. En attendant, le minou, c’est mon petit secret.

Je ne pense plus trop à l’alcool même si l’heure de l’apéro demeure un moment fragile. Ce soir, assise dans le salon, je sirote une bonne tisane chaude, accompagnée de petits biscuits aux épices. Une gâterie pour m’aider à ne pas penser au verre de vin blanc que j’aimais tant.

Et je tricote ! Ou plutôt, j’essaie de tricoter. Mon amie Solange s’était mise au tricot lorsqu’elle avait arrêté de fumer. Une façon d’occuper ses mains. Elle ne fume plus et ne tricote plus… Alors, elle m’a passé ses aiguilles, ses restes de laine, et ses patrons pour débutantes. Elle m’a aussi prêté le châle qu’elle s’était tricoté durant cette période de sevrage de la nicotine. Elle ne peut plus le voir. Il lui rappelle trop la cigarette….

Avec le châle vert sur mes épaules en guide d’encouragement et le minou endormi à côté de moi, j’essaie de me rappeler de mes notions élémentaires de maniement des aiguilles.

 

Tricoter n'est pas relaxant
Tricoter n’est pas relaxant

Ah, non ! Le minou s’était endormi sur mon téléphone cellulaire. La surprise m’a fait échapper une tonne de mailles ! Il va falloir que je recommence au début. Je ne sais pas rattraper les mailles. Mais si c’est Jean-Marc qui me téléphone, ça vaut bien des rangs de mailles…

Mais non, c’est mon amie Denise.

Une question à ne pas poser
Une question à ne pas poser

Et justement, j’essayais de ne pas y penser, de me changer les idées en tricotant. Denise n’est pas la seule à me poser ce genre de questions. Jean-Marc le fait souvent aussi. Et ma mère en est la championne.

Je dois me rappeler que c’est par souci pour moi que les gens me posent cette question : « Tu ne trouves pas ça trop dur de ne pas boire ? » C’est par gentillesse, dans le fond. Mais ce soir, la gentillesse de Denise n’a pas de limites…

Voici comment…

Vous pouvez lire la suite de ce chapitre dans le roman graphique La sobriété volontaire. Une année sans alcool (2015, 2018)