Demain, nous nous retrouvons en famille pour la fête des Mères. Nous avons choisi de souligner cet évènement en nous retrouvant pour le brunch dans un restaurant très chic de Montréal. Quatre générations de femmes regroupées autour d’une même table : ma grand-mère, ma mère, ses filles et les filles de ma sœur aînée. En général, j’aime bien les réunions familiales. Mais depuis que j’ai cessé de boire, je les redoute un peu. Surtout que semble-t-il, peu importe l’âge de leurs enfants, les mères ont toujours le droit de les critiquer un peu… Et les mêmes critiques peuvent servir d’une génération à l’autre…
Le 1er mai, alors que certains célébraient la fête des Travailleurs, moi je fêtais mon quatrième mois de sobriété volontaire. Quatre mois sans une goutte d’alcool !
Quand j’ai décidé de prendre comme résolution du Nouvel An de ne pas boire d’alcool pendant un an, j’espérais que cela apporterait quelques changements dans ma vie. Au bout de quatre mois d’abstinence, je ne remarque pas de grandes transformations, sauf une, en fait, à laquelle je ne m’attendais pas du tout : je suis devenue alcoolique !
J’avais remarqué depuis quelque temps que les gens autour de moi voulaient toujours me questionner à ce sujet-là. En général, on évitait d’utiliser le terme « alcoolique ». On parlait plutôt de « problèmes d’alcool ». On le fait toujours d’ailleurs. Mais récemment, je vois que même mes amies font montre d’une certaine gêne quand je refuse un verre d’alcool. Il y a deux jours, d’ailleurs, alors que je me confiais à une amie à ce sujet, elle a rougi jusqu’aux oreilles. Et elle m’a dit : « Mais c’est vrai, Catherine, qu’on peut commencer à se poser des questions. Ça fait tellement longtemps maintenant que tu continues à ne pas boire ! »
Je ne savais pas quoi lui répondre sans m’énerver. Je me suis contentée de la regarder avec de grands yeux surpris, mais dans ma tête, les mots se bousculaient : « Mais c’est une résolution du Nou-vel-An ! Ça va durer encore longtemps. Ça va durer un an ! Douze mois ! 52 semaines ! 365 jours ! Le mois prochain, je ne boirai toujours pas ! »
Elle n’est pas la seule à penser ainsi, malheureusement. Plus je suis longtemps sans boire, plus on me soupçonne d’être alcoolique. Sinon, j’aurais recommencé à boire, n’est-ce pas ? Une drôle de logique : si je me remettais à boire maintenant, donc, en fait, si j’étais incapable de tenir ma résolution pendant un an, ce serait la preuve que je ne suis pas alcoolique ???
Pour l’instant, je mets ce problème de côté. Il est bientôt 16 h et j’ai un petit creux. Il y a sur l’armoire de la cuisine, des restants d’une petite gâterie que je me suis permise pour fêter mes quatre mois de sobriété. J’ai quand même d’autres petites dépendances agréables dont je n’ai pas l’intention de me défaire tout de suite…
J’ai un petit groupe d’amies dont je suis très proche. J’ai souvent pensé que nous sommes presque comme des soeurs. Bien sûr, nous sommes toutes très occupées et on ne se voit pas aussi souvent qu’on aimerait. Mais, nous sommes toujours là quand l’une de nous a besoin d’aide. Nous sommes toujours prêtes à prendre soin l’une de l’autre… mêmes si nous sommes parfois maladroites dans nos bonnes intentions…
Hier soir, c’est moi qui ai été la victime des bonnes intentions de mon amie Denise.
Vendredi soir 25 avril
Le mois d’avril achève, mais ne veut toujours pas prendre un air de printemps. Il pleut et c’est humide… Je grelotte malgré le chauffage. Et personne pour me réchauffer. Jean-Marc est en voyage. Je suis donc de nouveau seule à la maison un vendredi soir. Enfin pas tout à fait seule, car le minou est encore ici. Je n’ai pas le cœur de le mettre à la porte alors que l’hiver refuse de partir. Mais dès les premiers jours de beau temps, je ne lui ouvrirai plus la porte. En attendant, le minou, c’est mon petit secret.
Je ne pense plus trop à l’alcool même si l’heure de l’apéro demeure un moment fragile. Ce soir, assise dans le salon, je sirote une bonne tisane chaude, accompagnée de petits biscuits aux épices. Une gâterie pour m’aider à ne pas penser au verre de vin blanc que j’aimais tant.
Et je tricote ! Ou plutôt, j’essaie de tricoter. Mon amie Solange s’était mise au tricot lorsqu’elle avait arrêté de fumer. Une façon d’occuper ses mains. Elle ne fume plus et ne tricote plus… Alors, elle m’a passé ses aiguilles, ses restes de laine, et ses patrons pour débutantes. Elle m’a aussi prêté le châle qu’elle s’était tricoté durant cette période de sevrage de la nicotine. Elle ne peut plus le voir. Il lui rappelle trop la cigarette….
Avec le châle vert sur mes épaules en guide d’encouragement et le minou endormi à côté de moi, j’essaie de me rappeler de mes notions élémentaires de maniement des aiguilles.
Tricoter n’est pas relaxant
Ah, non ! Le minou s’était endormi sur mon téléphone cellulaire. La surprise m’a fait échapper une tonne de mailles ! Il va falloir que je recommence au début. Je ne sais pas rattraper les mailles. Mais si c’est Jean-Marc qui me téléphone, ça vaut bien des rangs de mailles…
Mais non, c’est mon amie Denise.
Une question à ne pas poser
Et justement, j’essayais de ne pas y penser, de me changer les idées en tricotant. Denise n’est pas la seule à me poser ce genre de questions. Jean-Marc le fait souvent aussi. Et ma mère en est la championne.
Je dois me rappeler que c’est par souci pour moi que les gens me posent cette question : « Tu ne trouves pas ça trop dur de ne pas boire ? » C’est par gentillesse, dans le fond. Mais ce soir, la gentillesse de Denise n’a pas de limites…
Les idées saugrenues de ma mère sont légendaires. Cette semaine, elle m’a téléphoné pour m’inviter à un souper du Vendredi saint. Oui, oui. Un souper du Vendredi saint ! Elle allait être occupée dimanche avec son petit groupe de plein air, mais voulait quand même souligner Pâques.
« Mais maman, tu ne vas pas quand même pas nous servir du jambon ou de l’agneau un Vendredi saint ? »
« Mais non, a-t-elle répondu, j’ai un menu tout à fait approprié : poisson, choux de Bruxelles, riz sauvage ; au lieu du pain, il y aura des brioches du carême. »
« Et, pour dessert, une salade de fruits sans sucre. Et comme je ne servirai pas de vin, ce sera parfait pour toi ! Pas de tentation ! »
Je n’ai rien dit, mais son menu ressemble beaucoup à ceux que, moi, je sers à mes invités quand je reçois. Pour elle, c’est un menu de carême…
« Ce sera un petit souper intime, rajoute ma mère.Et j’ai un invité que je tiens beaucoup à te présenter. Un homme charmant. Vous avez beaucoup de choses en commun. »
« Maman ! J’ai déjà un chum ! »
« Et il sera avec toi à Pâques, ton chum ? »
Ah, ma mère ! Elle trouve que Jean-Marc est un chum plutôt absent. Et elle a raison, cette fois-ci : il ne sera pas avec moi à Pâques. Son ex le reçoit, lui et leurs enfants. Je ne peux pas dire que ça me fait plaisir, mais je comprends… Un peu.
Hier soir, j’ai donc rencontré l’invité mystère de ma mère et ça a mal commencé…
Jean-Marc est de nouveau à Silicon Valley. Je suis seule pour une autre fin de semaine. Alors, en rentrant du travail, je passe évidemment chez mon traiteur favori. La dame derrière le comptoir aime bien placoter. Elle me suggère un bon vin qui irait parfaitement avec le plat que j’ai choisi. Je ne dis rien. Elle me regarde. « Ah, c’est vrai. Vous ne pouvez pas boire ! » Eh oui ! Grâce à Jean-Marc et sa grande trappe, elle sait maintenant que je ne bois pas… « Mais ça ne fait rien, madame ! Concentrez-vous sur la présentation. Les hommes apprécient ça, vous savez. » Un autre coup dans l’eau pour la dame. « Je suis seule ce soir. » Je la sens qui s’exaspère. « Mangez devant la télévision, d’abord ! Ça tient compagnie ! »
J’y avais pensé. C’est ce que je fais souvent maintenant quand je suis seule. Je me prépare un petit plateau devant la télévision… Mon menu de la soirée : petite salade verte, pâtes et… cannoli pour dessert. Ils sont vraiment bons leurs cannoli ! Le tout arrosé… d’un verre d’eau minérale. Je commence à le trouver plate mon verre d’eau minérale ! Après trois mois d’abstinence, j’ai parfois des sursauts d’impatience et d’irritation par rapport à ma résolution. Alors, je décide d’essayer quelque chose de spécial, ce soir. Je verse mon eau dans un beau verre à vin. Ce sera plus gai…
Je m’installe bien confortablement devant la télévision avec mon petit souper et ma télécommande pour la télé. Je suis prête à relaxer, à me changer les idées, à oublier ma petite solitude et le fait que mon chum est quelque part dans une Californie ensoleillée à siroter du vin sur une terrasse. Alors qu’y a-t-il de bon à la télévision ce soir ? Je ne sais pas. Parce que soudainement, en passant d’un poste à l’autre, quelque chose me frappe : ça boit partout à la télévision !
Ça boit partout à la télévision !
Bien sûr, il y a aussi des publicités d’alcool. Mais ça au moins, c’est clair. On s’y attend. Non, ce que je réalise ce soir, c’est que dans plein de types d’émission, les gens ont un verre à la main. Tout le temps et pour toutes sortes d’occasions.
Et les messages sont assez semblables, peu importe le type d’émission.
Vous rentrez du travail, exténué ? Vite, un verre de vin ou une bière, vous l’avez bien mérité ! Vous avez un problème sérieux que vous voulez confier à votre amie, votre conjoint ? Parfait ! Mais d’abord un verre de vin ou un petit alcool fort pour vous donner du courage. Une bonne nouvelle à annoncer ? On le sait parce que l’acteur ou l’actrice arrive avec une bonne bouteille.
Et je repense à des séries humoristiques que je regarde de temps en temps. Ce serait intéressant de compter combien de fois dans une émission de moins de trente minutes, sans raison particulière, on représente les personnages en train de boire de l’alcool. Je remarque aussi que ces gens qui ont un verre à la main, en général, sont heureux, beaux, sophistiqués, élégants. Leur vie est fantastique ! Elle n’est certainement pas plate comme la mienne ce soir…
En regardant mon verre d’eau minérale, une question tout à coup me chicote :
Est-ce que j’ai le goût d’un verre de vin ou bien ai-je plutôt envie d’être la fille dans l’image de la télévision ?
Elle semble avoir toutes les qualités… tous les plaisirs de la vie…